Non seulement une reine a décidé de s’accaparer le pays aux frontières invisibles et de régir cet immense territoire, mais elle a aussi décidé de déraciner les habitants du territoire et de les confiner dans ce petit pays qu’elle a créé spécialement pour eux. (Photo: Maher El Aridi pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. Chez les Premières Nations, les contes et légendes ont toujours fait partie de notre culture. Souvent, au retour de la chasse, le soir autour du feu ou durant les Pow Wow, les aînés comme les plus jeunes se rassemblaient pour partager ces histoires qui se sont perpétuées de génération en génération, traçant l’imaginaire des tout petits, tout en continuant d’amuser les plus âgés. Aujourd’hui, j’aimerais vous partager la légende du petit pays aux frontières invisibles.
Ce petit pays d’à peine 15 km2 est magnifique. Il est bordé d’un côté par un immense lac, digne d’une mer intérieure et d’autre part de frontières invisibles. Même si les gens du pays ne voient pas ces frontières, elles sont bien présentes. On les sent à travers le regard des visiteurs qui viennent d’autres pays, tous à la recherche de tipis, de plumes, d’objets culturels qui leur ont été montrés dans leurs livres d’histoire.
On sent bien ces frontières invisibles, en particulier lorsque le chef et les dirigeants du pays cherchent à trouver des solutions pour nourrir les familles qui y vivent, à créer des entreprises et des emplois de qualité qui permettraient aux habitants de s’épanouir et de sortir de ce système désuet qui les maintient dans un contexte de pauvreté et d’inégalité.
Les ressources naturelles étant très restreintes dans cette petite superficie, la dépendance des habitants est d’autant plus grande envers leurs voisins. Pourtant, autour d’eux, il existe des kilomètres de forêts, d’immenses étendues d’eau, la faune et la flore sont abondantes.
Cependant, une des difficultés majeures de ce pays demeure. Il y a des centaines d’années, une reine a décidé de limiter leur accès à ce territoire, prétendant pouvoir mieux gérer les ressources s’y trouvant. Le Nitassinan, ce territoire millénaire qui les entoure, leur a toujours servi de source de vie et d’autonomie, ils y ont grandi, il fait partie de leur racine.
Non seulement cette reine a décidé de s’accaparer et de régir cet immense territoire, mais elle a aussi décidé de déraciner les habitants du territoire et de les confiner dans ce petit pays de 15 km2 qu’elle a créé spécialement pour eux.
Considérés pour elle comme ses enfants, les citoyens de ce pays qui désirent s’y bâtir une maison doivent d’abord lui demander la permission. Puis, si cette dernière acquiesce, ils pourront se construire, mais c’est elle qui sera garante de leur prêt. La reine de ce pays a même déjà préétabli un prix égalitaire pour tous de la valeur maximale de leur demeure et ce peu importe le revenu de chacun.
Les habitants de ce pays n’ont aucun droit de propriété individuelle, les terres étant la propriété de cette reine qui les détient au nom de tous les citoyens. Les biens et services de ces résidents sont insaisissables, ils n’ont donc pas droit d’obtenir une hypothèque commerciale ou d’utiliser leurs actifs en garantie.
De plus, pendant des années cette reine a obligé tous les enfants de ce pays à déménager dans son pays à elle afin qu’ils apprennent sa langue et sa culture. À cette même époque, les femmes de ce pays et qui désiraient épouser un homme du pays voisin se voyaient exclues et devaient immigrer en dehors des frontières. Malgré tout, les citoyens de ce petit pays ont toujours fait preuve de résilience, ils ont réussi au fil du temps par le partage, le respect, le dialogue et le courage à faire face à la reine et à trouver des pistes de solutions.
Légende bien réelle
Cette histoire que je viens de vous raconter est effectivement digne d’une légende. Pourtant, elle est bien réelle, puisque c’est la réalité de ma communauté et celle de plusieurs autres communautés autochtones au Québec et au Canada. En fait, elle décrit en quelques mots la Loi sur les Indiens qui a été créée en 1876 et qui existe encore aujourd’hui. Certes, il y a eu quelques modifications à cette loi afin d’éliminer certains articles discriminatoires, mais d’autres contraintes demeurent et les frontières invisibles qu’elles créent sont toujours bien présentes.
En tant qu’entrepreneur de ce petit pays, je peux vous confirmer que les conséquences sociales et économiques, nous les vivons encore. Développer et démarrer une entreprise est déjà un défi en soi, et vous, avec des contraintes fiscales comme celles-ci auriez-vous le courage de vous lancer ?
Au cours de mes prochains billets, je vous ouvrirai la porte de mon pays, si petit, mais si beau à la fois, parce que c’est souvent dans l’adversité que nous découvrons nos plus belles richesses.