(Photo: Rafael Juarez pour Unsplash)
CHRONIQUE. Gouverner, c’est prévoir. Malheureusement, ce grand principe de gestion a été négligé par ceux qui devaient prévoir la grave pénurie de main-d’œuvre qui sévit. La population du Québec vieillit rapidement et la population active a cessé de croître. Ce problème s’aggravera avec la croissance de l’économie malgré les gains qui pourraient venir de la hausse de la productivité.
Selon l’Institut du Québec, il y avait 194 145 postes vacants au Québec au deuxième trimestre de 2021, soit un taux de 5,3 %. Une hausse de 53 725 en un an. Ce taux de postes vacants était de 2,6 % 2016. Le Québec a le plus haut taux du pays après la Colombie-Britannique, où il est de 5,4 %.
Au Québec, il manquait alors 20 630 travailleurs dans le secteur de la santé, 25 330 dans le manufacturier, 12 700 dans la construction, 22 715 dans le commerce de gros et de détail et 16 285 dans les services professionnels. Alors que l’on accroît les salaires des uns pour recruter et retenir des employés, on crée des pénuries ailleurs. Il faut faire mieux.
Recours à l’immigration
La Colombie-Britannique recourt fortement à une solution qui répugne au gouvernement du Québec pour contrer le manque de main-d’œuvre. Elle a ainsi fait passer le nombre de ses immigrants de 35 397 en 2016-2017 à 44 899 en 2019-2020, ce qui représente 0,87 % de sa population de 2021. Au contraire, le Québec a réduit les siens de 53 205 à 33 295 au cours de la même période, un niveau qui représente 0,39 % de sa population de 2021, soit moins de la moitié du niveau d’immigration de la province de la côte Ouest. (Ces données, qui représentent des périodes débutant le 1er juillet, proviennent de Statistique Canada.)
La situation est encore plus déplorable si on regarde la composition de cette immigration. Selon le ministère de l’Immigration du Québec, seulement 23 129 immigrants économiques sont arrivés au Québec pendant l’année de calendrier 2019, soit 57 % des immigrants reçus, comparativement à une moyenne de 34 778 de 2010 à 2016, soit 66 % de tous les immigrants admis. Cette baisse de l’immigration économique étonne puisqu’elle survient sous un gouvernement dit « économique ». L’immigration économique étant sous le contrôle du gouvernement du Québec et les besoins de main-d’œuvre étant criants, il est regrettable que celui-ci ait préféré rassurer des électeurs frileux quant à l’immigration, au lieu de déterminer des niveaux d’immigration plus pertinents pour ses propres besoins et ceux des entreprises.
Pour répondre aux besoins des employeurs agricoles et de la transformation alimentaire, les gouvernements recourent de plus en plus à des travailleurs temporaires étrangers, dont le nombre croît d’année en année. Or, on a vu récemment le peu de respect que certains employeurs du Québec accordent à ces « esclaves modernes », selon une expression de Doug Ford. Ce n’est pas une solution à long terme.
Menant allègrement dans les sondages, M. Legault pourrait se permettre d’accroître le nombre des immigrants économiques. Bien sûr, il faut aussi alléger et accélérer les processus d’admission, qui sont complexes et obscurs. De quatre à cinq ans pour permettre à une infirmière expérimentée d’obtenir un certificat de sélection du Québec, une attestation de résidence permanente (moyenne de 27 mois) du fédéral et un permis d’exercice de son ordre professionnel, ça dépasse l’entendement.
En plus de la baisse injustifiée de ses seuils d’immigration, le Québec perd environ 6 000 émigrants internationaux par année depuis trois ans et souffre d’un bilan migratoire interprovincial net négatif depuis plusieurs années.
Des besoins généralisés
Le Québec a besoin de travailleurs dans un très grand nombre de métiers, qui n’ont pas nécessairement besoin de gagner 56 000 $ et plus par année, comme l’a déjà dit M. Legault. Il est aussi illusoire de penser que l’on peut requalifier tous les chômeurs pour contrer la pénurie.
Plusieurs initiatives ont été prises par le ministre du Travail, Jean Boulet, pour former et requalifier des sans-travail et les aider à accéder à des emplois. Il faut d’autres mesures, en fiscalité notamment, pour garder au travail des salariés qui pensent à se retirer et inciter les retraités à retourner au travail.
Si l’on regarde les grandes tendances et si on se projette dans l’avenir, on comprendra que les besoins de main-d’œuvre vont continuer à croître plus rapidement que la population en âge de travailler, que des entreprises continueront de perdre des revenus de production et des contrats à cause du manque d’employés, qu’elles devront payer plus cher pour les garder à leur service et en recruter de nouveaux et que ceux-ci et leurs syndicats se montreront plus exigeants, comme on l’a vu récemment à Exceldor et à Olymel. Bref, on risque de s’enfoncer dans une crise qui deviendra de plus en plus difficile à gérer et qui ralentira la croissance de l’économie.
Autre effet pervers, le Québec continuera de perdre de son influence dans la fédération canadienne. Le redécoupage de la carte électorale proposé par Élections Canada enlève un siège au Québec, alors que l’Alberta en gagne trois et l’Ontario et la Colombie-Britannique, un chacune. Le Québec aurait alors 22,5 % des députés des Communes, comparativement à 25 % en 1999 et à 28 % en 1966.
Notre premier ministre parle beaucoup de fierté et de valeurs. C’est très bien, mais il faut aussi tout mettre en œuvre pour procurer à nos créateurs d’emplois la main-d’œuvre dont ils ont besoin pour assurer notre prospérité.
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J’aime
Cent trente-six pays ont convenu d’imposer un impôt minimal de 15 % sur les revenus des multinationales qui échappent à la fiscalité ou qui bénéficient de taux d’impôt insignifiants. La mesure entrerait en vigueur en 2023. Ces 136 pays, qui représentent 90 % du PIB mondial, paieraient en impôt plus de 216 milliards de dollars canadiens. Cet accord vise surtout les Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft et autres grandes sociétés technos, mais aussi toutes les grandes sociétés qui ne paient pas leur dû dans les pays où elles font affaire.
Je n’aime pas
Les recettes que les trois ordres de gouvernements ont tirées de l’écofiscalité en 2019 n’ont représenté que 1,6 % du PIB du Québec, selon une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. C’est bien inférieur à la moyenne de 2,1 % des pays de l’OCDE, ce qui veut dire que nous pourrions faire beaucoup mieux pour la protection de l’environnement si on taxait davantage les produits et les services contribuant à la pollution. Toutefois, ce ratio s’établirait à 1,2 % du PIB québécois selon l’éventail plus restreint des taxes choisies par l’OCDE pour faire son étude comparative. Selon la méthode de l’OCDE, le Québec se classerait alors au 35e rang des 38 États comparés, ce qui fait de nous un véritable cancre de l’écofiscalité.