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La planification stratégique est une fiction

Francis Gosselin|Publié le 14 août 2019

La planification stratégique est une fiction

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Dans une période de profondes transformations sociales, économiques et technologiques, beaucoup d’organisations se questionnent sur leur capacité à anticiper et planifier les tendances à long terme.

Transformation numérique, pénurie de main-d’œuvre endémique, guerres commerciales, Brexit et réchauffement climatique sont à l’agenda d’un nombre croissant de comités de direction. Sans surprise, la plus récente étude mondiale de PwC sur les préoccupations des PDGs en dresse la liste, par continents et par ordre de priorité.

Dans les exercices de planification stratégique, qui visent en quelque sorte à « prévoir l’avenir», il devient donc périlleux de fixer un état futur précis à l’horizon 3 ou 5 ans, comme l’ont fait historiquement les experts en la matière. C’est oublier que la stratégie est, par définition, une fiction que créent et partagent les dirigeants et les employés d’une organisation : une création imaginaire, souvent fondée sur les conséquences projetées du progrès scientifique.

Et comme dans toute fiction, la stratégie recèle une part de rêve, et une part d’incertitude, deux paramètres avec lesquels certains dirigeants et gestionnaires sont inconfortables. La fiction stratégique, en tant que projet négocié et partagé, fait souvent officiellement l’unanimité, bien que dans les faits, divers agendas concurrents se partagent effectivement entre rêve et incertitude.

Dans son livre «Thinking in Bets: Making Smarter Decisions When You Don’t Have All the Facts», l’ex-joueuse de poker professionnelle Annie Duke rappelle que la qualité d’un projet stratégique dépend de deux facteurs: la qualité de la décision prise, et la chance.

Le propos de Duke – qui a, en début de carrière, effectué des études doctorales en psychologie cognitive – nous rappelle que l’incertitude fait partie intégrante de la vie des organisations. Le nouveau produit fonctionnera-t-il sur le marché? Les clients continueront-ils d’affluer à nos portes? À quand la prochaine crise économique? Pour Duke, la solution est relativement simple: dans de nombreux cas, il faut faire la paix avec le fait de ne pas savoir. «Je ne suis pas certain» est parfois la représentation la plus précise de notre connaissance, et il importe de le reconnaître, même si c’est rarement enseigné dans les écoles de commerce.

Le sociologue Geert Hofstede, connu pour son étude des traits culturels dans les organisations, explique quant à lui que différentes cultures ont un rapport plus ou moins problématique avec l’incertitude. Hofstede a étudié des centaines de milliers de sujets et établi 6 dimensions, dont le contrôle de l’incertitude. Sur un score de 100, la Suède obtient 29 points (très à l’aise), et la France, 86 (grand malaise avec l’incertitude). À 48 points, le Canada se situe presque à égalité avec les États-Unis, à 46. Hofstede prend néanmoins la peine, en note, de signaler que le «Canada francophone» et le «Canada anglophone» ont des traits distinctifs. Le score du Québec ? 60.

Dans la mesure où la stratégie requiert un effort d’imagination et d’acceptation de l’incertitude, il importe que les dirigeants changent leur manière de penser la planification. Quelle science-fiction portera l’avenir de tel projet, de tel produit, ou de telle entreprise? 

C’est vrai dans les PME comme dans les grandes organisations ; il faudra apprendre à parier de manière plus efficace et à accepter de ne pas pouvoir tout savoir. Il faudra que les dirigeants acceptent de perdre plus souvent, pour gagner ultimement.