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Jean-Paul Gagné

Droit au but

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Analyse de la rédaction

La «politique étrangère» de Scheer, une affaire d’argent

Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑octobre 2019

CHRONIQUE. Vous n'avez probablement pas entendu parler du «plan de politique étrangère» que vient d'annoncer Andrew...

CHRONIQUE. Vous n’avez probablement pas entendu parler du «plan de politique étrangère» que vient d’annoncer Andrew Scheer. Par contre, vous avez peut-être appris qu’il voulait réduire de 25 % l’aide à l’étranger.

En réalité, le «plan de politique étrangère» de M. Scheer est plutôt limité. On y retrouve le renforcement des alliances traditionnelles, la défense des droits de la personne, la «dépolitisation» du processus d’approvisionnement militaire, le retrait du Canada de la Banque asiatique d’investissement et le déménagement à Jérusalem de l’ambassade du Canada en Israël.

En réalité, ces mesures servent surtout d’enrobage pour annoncer la vraie affaire : la réduction de 1,5 milliard de dollars de l’aide publique au développement (APD) sur un budget de 6,1 G$ (2017-2018).

M. Scheer a donné trois raisons principales pour réduire l’APD du Canada, à savoir l’aide humanitaire (alimentation, santé, eau, etc.), l’aide aux réfugiés, l’aide au développement durable et les interventions d’urgence : «réinvestir dans la santé des mères et des enfants, dépenser moins d’argent pour l’aide aux pays riches et aux dictatures étrangères» et alléger le fardeau fiscal des Canadiens. Comme «plan de politique étrangère», avouez que c’est limité. Comment ne pas y voir aussi un rapprochement avec le America First de Donald Trump ? Le Canada First de M. Scheer ferait passer l’APD du Canada de 0,28 % à 0,21 % de son revenu national brut (RNB), une mesure proche du PIB utilisée par l’OCDE pour comparer l’aide internationale de pays.

Il est faux d’affirmer que le gouvernement Trudeau a soutenu des «dictatures hostiles aux valeurs canadiennes», comme l’Iran, la Corée du Nord et la Russie. L’aide acheminée dans ces pays l’a été par le biais des organisations multilatérales. Tandis que le Canada a contribué au respect de l’entente sur le nucléaire en Iran, il a aussi aidé à contrer le développement d’armes nucléaires en Corée du Nord et à porter assistance à la communauté LGBTQ en Russie.

Pour déterminer les pays à qui un futur gouvernement conservateur couperait l’APD, le plan conservateur utilise l’indice de développement humain (IDH) de l’ONU, dont l’échelle va de 0 à 1, et qui classe les pays selon trois critères, soit le niveau de vie, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation. Selon le plan conservateur, les pays qui obtiennent un indice supérieur à 0,6 seraient considérés comme ayant un «revenu élevé ou moyennement élevé». Ils ne recevraient pas d’APD de l’État canadien.

M. Scheer estime que ces pays ont reçu 2,2 G$ d’aide du gouvernement Trudeau l’an dernier. C’est de cette somme que viendrait l’économie visée de 1,5 G$ pour «améliorer le quotidien des Canadiens» et les 700 millions de dollars qui serviraient à «augmenter l’aide étrangère aux pays les plus pauvres du monde».

Contrairement à ce qu’on peut penser de prime abord, la discrimination entre les pays pouvant être aidés et ceux qui ne le seraient pas sur la base de cet indice pourrait se révéler un exercice très difficile, sinon illusoire. Est-ce à dire que plusieurs pays de l’Amérique latine (Honduras, Costa Rica, Équateur, Colombie, Pérou, etc.) et de l’Asie (Philippines, Laos, Vietnam, etc.) ne pourraient pas recevoir d’APD de la part du Canada ? Est-ce à dire que le Canada n’enverrait plus de secours aux victimes d’un séisme dans un pays développé comme l’Italie ou qu’il ne secourrait pas des populations qui fuient la guérilla comme on le voit en Colombie, deux pays qui ont un IDH supérieur à 0,6 ?

Pas de raison d’être fier

Avec une APD représentant 0,28 % de son RNB, le Canada arrive au 14e rang des 36 pays membres de l’OCDE, loin derrière la Suède (1,04 %), le Luxembourg (0,98 %), la Norvège (0,94 %), le Royaume-Uni (0,70 %), l’Allemagne (0,61 %), les Pays-Bas (0,61 %) et la moyenne de 0,38 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Compte tenu de notre richesse, c’est une honte.

Le Canada est ainsi très loin de l’objectif de 0,7 % du RNB, voté par l’assemblée générale des Nations Unies en octobre 1970. Cet objectif est issu d’une commission présidée par l’ex-premier ministre canadien Lester B. Pearson, pour qui l’aide internationale était une «affaire morale, les pays riches se devant d’aider ceux qui ne le sont pas».

Heureusement, le dernier budget du gouvernement Trudeau prévoit accroître l’aide à l’étranger de 2 G$ en cinq ans et ajouter 1,5 G$ pour des initiatives innovatrices en matière de développement, également en cinq ans.

Après avoir accueilli 25 555 Syriens en 2015 et 2016, le Canada a accepté 30 000 réfugiés en 2018, pour lesquels il a dépensé environ 700 M$, soit 11 % de son APD. C’est lui qui en a le plus accueilli parmi les pays sûrs qui ont procédé à leur réinstallation. Nous avions les moyens de le faire.

En ce qui a trait au recul de l’aide publique et privée à l’échelle internationale, nous pouvons faire plus et mieux et donner l’exemple. C’est dans cette direction qu’il faut regarder.

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