«Quand on a une passion et qu'on est bien où l'on travaille, pourquoi irait-on ailleurs?», dit Kathy Rioux, la propriétaire du Café Krieghoff. (Photo: courtoisie)
EXPERT INVITÉ. Des restaurants qui doivent refuser des CV, car ils savent fidéliser autant les clients que les employés, ça existe encore. Et l’une de ces adresses se trouve sur la rue Cartier, au cœur de Québec.
Fondé en 1977, le Café Krieghoff est une véritable institution dans la capitale. Artistes, étudiants, gens d’affaires, fonctionnaires, résidant du quartier Montcalm et touristes s’y retrouvent pour prendre un café ou manger un repas.
Comme tous les restaurateurs, le Café a fait face à divers défis au fil des années. On n’a qu’à penser à la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre, l’augmentation du coût des aliments et j’en passe. Et pourtant, ce bistro ne peine pas à recruter du personnel, il est ouvert tous les jours de la semaine dès 8h00 et les clients sont au rendez-vous. Fait intéressant, 75% de ces derniers sont des habitués. Mais quel est le secret du succès de cet établissement de la rue Cartier? C’est ce que j’ai voulu savoir en rencontrant Kathy Rioux, la propriétaire qui a débuté comme employée il y a maintenant 36 ans. Les propos ont été édités à des fins de concision.
Daniel Lafrenière (D. L.): Vous êtes ouverts tous les jours alors que d’autres restaurants ont des horaires réduits. Vous avez pratiquement la même équipe, les employés sont les mêmes depuis des années. Vos clients sont fidèles. Quel est votre secret?
Kathy Rioux (K. R.): Mon secret, c’est que je suis présente dans mon commerce. J’arrive ici très tôt le matin. Je débute par le travail de bureau et je passe le reste de la journée sur le plancher. Je travaille avec mes employés et c’est mon plaisir d’être avec eux, de faire le service, de les aider, d’être auprès de ma clientèle. En tant que patronne, j’occupe tous les postes dans toutes les sections. Je sors les assiettes, je sors les cafés, je fais le bar, je fais même la plonge au besoin. Bref, je suis partout.
J’aime chaque employé qui travaille au café. J’éprouve un attachement pour mon équipe. Le Krieghoff, c’est ma famille et ça a toujours été comme ça. J’ai le café dans mon cœur et c’est ce que je transmets à mon monde.
D. L.: On parle beaucoup de pénurie de main-d’œuvre. Avez-vous de la difficulté à recruter?
K. R.: Non, au contraire. Je refuse du monde présentement. Bien entendu, ça a été plus difficile l’année suivant la pandémie. J’ai des employés qui ont 7 ans, 19 ans et même 30 ans d’ancienneté. J’en ai aussi qui ont débuté au début de cet été.
Certains sont des étudiants au cégep ou à l’université qui resteront avec moi le temps de leurs études. D’autres sont des serveurs de carrière. Nos enfants, ainsi que leurs amis — on a vieilli! — travaillent maintenant au restaurant. Il y a aussi les enfants de nos clients qui viennent au Café depuis qu’ils sont petits (et qui ont grandi) en quête d’un premier emploi.
D. L.: Parlons de la clientèle. Qui est-elle? Avez-vous beaucoup de clients réguliers?
K. R.: Ma clientèle est fidèle. J’ai 75% de réguliers et 25% de passants. Et dans ces 25%, j’ai 10% de touristes et 15% qui reviennent, pas à tous les jours ou à toutes les fins de semaine, mais ils reviennent. J’ai des clients de tous les âges. Bien entendu, on a une partie de la clientèle plus âgée qui fréquente le café depuis l’ouverture en 1977. Ces clients ont eu des enfants qui ont grandi avec le Krieghoff qui à leur tour ont eu des enfants. J’ai aujourd’hui une clientèle plus jeune, plus diversifiée.
Il faut constamment renouveler la clientèle pour que l’entreprise perdure. C’est pour cette raison qu’on est actif sur les médias sociaux. On a aussi beaucoup d’artistes, de comédiens de Québec et de Montréal qui viennent.
D. L.: Pourquoi vos clients sont-ils si fidèles? Qu’est-ce qui explique qu’ils reviennent depuis toutes ces années?
K. R.: Ils retrouvent la même chose qu’au premier contact il y a plusieurs années. L’accueil, la chaleur, l’ambiance, la nourriture, le café. C’est réconfortant. Cela a cependant pour effet qu’il m’est pratiquement impossible de changer le menu ou la décoration (rires). Les gens reconnaissent le goût des plats. Les gens reconnaissent le goût du café. Ils sont très attachés au lieu. Je dis souvent que lorsque vous entrez au café, j’ouvre la porte de chez nous.
D. L.: Quels sont vos principaux défis en 2023 comme restaurateur?
K. R.: Maintenir la prestation actuelle et l’emmener un petit peu plus haut. Faire connaître mon établissement à un maximum de personnes. Garder et renouveler la clientèle, notamment en attirant les jeunes et faisant en sorte qu’ils se sentent chez eux. J’ai un bon produit. Je veux créer une «dépendance» au Krieghoff.
D. L.: Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail?
K. R.: La restauration est une passion. Il n’y a pas un matin où je me lève à 4 h 30 et que ça ne me tente pas. J’aime tellement mon monde. Je suis toujours là, six jours sur sept. Je n’ai pas de gérant. Je suis au courant de tout. Quelqu’un qui est passionné fera de la restauration toute sa vie. Que ce soit un propriétaire ou un serveur. Quand on a une passion et qu’on est bien où l’on travaille, pourquoi irait-on ailleurs?
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Que doit-on retenir de cet entretien?
Premièrement, l’importance d’avoir une propriétaire (ou gestionnaire) impliquée, proche de ses employés et présente au quotidien sur le plancher pour les soutenir (en salle, en cuisine, à la plonge s’il le faut). Je ne saurais trop souligner le lien crucial entre l’expérience employé et l’expérience client.
À (re)lire: Pas d’expérience employé, pas d’expérience client
Comme client, cette présence de la propriétaire est aussi rassurante.
Deuxièmement, l’importance de créer une ambiance, de faire en sorte que les clients se sentent chez eux quand ils visitent un établissement. Je peux en témoigner, car je fais partie de ces fidèles clients qui fréquentent le Krieghoff depuis des décennies. Comme plusieurs, j’y ai mes habitudes. Tout le monde sait que la fidélité de la clientèle est le Graal de toute entreprise. Attirer et fidéliser la clientèle est un défi constant et son atteinte s’effectue en offrant une bonne expérience client, une bonne expérience employé et des produits de qualité.
Finalement, l’importance d’aimer son travail, voire d’en être passionné. Si l’on n’aime pas ce que l’on fait, comment peut-on procurer une bonne expérience client?