L’adaptation climatique, l’angle mort de la campagne électorale
François Normand|Publié le 17 septembre 2022Des semi-remorques et des voitures sont abandonnées sur la route 1, alors que l'eau continue de couvrir les voies en direction est de la route, le 18 novembre 2021, à Abbotsford, en Colombie-Britannique. (Photo: Getty Images)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. Les partis politiques comprennent-ils vraiment l’ampleur de la crise écologique à laquelle le Québec et les autres sociétés dans le monde sont confrontés? On peut en douter étant donné le peu d’intérêt qu’ils accordent à l’adaptation aux impacts des changements climatiques.
Il n’a même pas été question de cette adaptation lors du débat des chefs de jeudi dernier sur les ondes du réseau TVA. On peut critiquer François Legault, Dominique Anglade, Gabriel Nadeau-Dubois, Paul St-Pierre-Plamondon et Éric Duhaime de ne pas avoir soulevé la préoccupation — qui est pourtant mentionnée au moins une fois dans la plupart des programmes.
On peut aussi s’interroger sur l’absence de question posée à ce sujet lors du débat…
Tout comme on peut se questionner sur le récent refus du gouvernement sortant de la Coalition avenir Québec (CAQ) d’instaurer un «pacte vert», afin de combler des besoins évalués à deux milliards de dollars pour aider les municipalités à s’adapter aux changements climatiques.
En revanche, ce vendredi, lors d’un discours au sommet électoral de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), le premier ministre sortant François Legault a ouvert la porte au «pacte vert» demandé par les maires, mais pas aux 2 G$ réclamés, rapporte le quotidien Le Nouvelliste.
Certes, les principaux partis politiques — à l’exception du Parti conservateur du Québec — proposent des cibles de réductions de gaz à effet de serre (GES) à atteindre d’ici 2030, sans parler de la carboneutralité à l’horizon 2050.
C’est un no brainer, comme dit l’adage anglophone.
Réduire les émissions de GES de manière ambitieuse est ab-so-lu-ment nécessaire pour espérer limiter à terme le réchauffement de la Terre au-delà des 2 degrés Celsius par rapport au début de l’ère industrielle.
Il faut même être plus ambitieux en termes de cibles, et ce, de Montréal à Beijing en passant par Los Angeles.
On va se dire les vraies affaires: il est sans doute déjà trop tard pour faire une transition énergétique. Il faut maintenant une révolution énergétique, si nous ne voulons pas que les générations futures vivent sur une Terre de plus en plus inhabitable, à +3 ou +4 degrés Celsius.
Nous devons en même temps appuyer sur l’accélérateur, afin d’adapter la société québécoise (incluant les entreprises) aux impacts des changements climatiques, car nous subissons déjà plus vite que prévu leurs effets.
Sécheresses, inondations, incendies, températures extrêmes, pluies diluviennes… La liste est de plus en plus longue. Sans parler de l’exorable augmentation du niveau de la mer.
Plusieurs stratégies peuvent être déployées pour améliorer la capacité de la société québécoise à s’adapter aux changements climatiques.
Et cela passe en grande partie par les villes, comme on peut le constater dans le guide S’adapter au climat par la réglementation, publié en avril par l’UMQ.
Comment mieux s’adapter
Voici quelques mesures inspirées de ce document, mais aussi de celles proposées par des spécialistes, ou qui ont déjà fait leurs preuves depuis longtemps.
GESTION DES EAUX PLUVIALES – La plupart des réseaux municipaux ont été construits à une époque d’une relative «stabilité climatique». Comme ils ne sont plus adaptés, les villes doivent les modifier afin qu’ils puissent gérer de plus grands volumes d’eaux pluviales dans un court laps de temps.
CAPTATION DE L’EAU SUR PLACE – Pour soulager les réseaux municipaux, les villes doivent faire en sorte que l’eau de pluie soit absorbée en grande partie par le sol à l’endroit où elle tombe. Comment? En installant par exemple des pavés alvéolés comblés par des végétaux, ce qui crée une superficie perméable, comme à Gatineau.
ÎLOTS DE FRAÎCHEUR – Il y a déjà plusieurs zones d’ombres et de fraîcheur dans des municipalités du Québec, mais il faut en faire plus. Ces îlots permettent par exemple aux citoyens qui n’ont d’air climatisé dans leur résidence de se rafraîchir lors des canicules de plus en plus fréquentes et chaudes.
CONSTRUCTION EN HAUTEUR – Construire davantage en hauteur permet de préserver les îlots de fraîcheur dans les villes, voire d’augmenter leur superficie dans les municipalités qui sont déjà des leaders en matière d’adaptation aux changements climatiques.
TOIT ANTI-CHALEUR – Les toitures noires et foncées ne sont plus adaptées aux températures de plus en plus élevées. Les pâlir ou les végétaliser est donc une nécessité, comme dans les pays situés dans les régions chaudes du globe. Par exemple, à Montréal, pour tout toit plat, l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie autorise uniquement un toit végétalisé, un matériau de couleur blanche (ou peint) ou un matériau reflétant les rayons du soleil.
Deux réflexes cruciaux à développer
Outre ces mesures spécifiques (et non-exhaustives), les villes doivent aussi apprendre à faire deux choses systématiquement, afin de mieux s’adapter aux changements climatiques.
Premièrement, les municipalités ont tout intérêt à créer une réserve financière pour contingence climatique pour financer l’amélioration de leur résilience. Dans le secteur privé, la plupart des entreprises bien gérées disposent d’une réserve pour contingence afin de pallier aux imprévus.
Bien entendu, sans nouvelles sources de revenus, les municipalités devront faire des arbitrages. Cela dit, l’ampleur de la crise écologique et son accentuation feront en sorte qu’ils seront de plus en plus faciles à faire.
Deuxièmement, la gestion des risques climatiques doit devenir une obsession dans les municipalités du Québec. Tout comme la gestion du risque géopolitique est devenue de plus en plus importante ces dernières années dans la plupart des investisseurs institutionnels, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Ainsi, à l’aide de scénarios et de modélisations s’appuyant sur des données historiques, les villes seraient mieux outillées pour s’adapter aux événements climatiques extrêmes qui les frapperont de plus en plus dans un avenir prévisible.
Dans un monde idéal, les municipalités devraient pouvoir compter sur le gouvernement du Québec pour les aider à s’adapter aux changements climatiques — tout en continuant à réduire massivement leurs émissions de GES.
Or, à la lumière du manque d’intérêt pour cet enjeu crucial lors du premier débat des chefs et à la lumière du manque d’enthousiasme de Québec d’instaurer un «pacte vert», les maires et les mairesses du Québec devront de toute évidence assumer ce leadership que les leaders politiques au niveau provincial ne semblent pas vouloir assumer.
Du moins pour l’instant.