L’affaire Trudeau-WE Charity: on ne lésine pas avec l’éthique
Jean-Paul Gagné|Publié le 10 juillet 2020Justin Trudeau (Photo: Getty Images)
BLOGUE. Dans la tempête que traverse Justin Trudeau à la suite d’un contrat de 19,5 M$ attribué à Mouvement Unis (WE Charity en anglais), un organisme de bienfaisance auquel des membres de sa famille sont associés, le premier ministre a avoué ne pas avoir quitté la réunion de son cabinet lorsque cette décision a été prise.
Ce contrat, qui a été résilié depuis, avait été accordé pour gérer un programme de bourses pour les étudiants qui font du bénévolat totalisant 900 M$. Ce programme, qui fait partie des mesures d’aide aux personnes et de soutien à l’économie du gouvernement à cause de la pandémie actuelle, est discutable puisque le bénévolat est en principe non rémunéré. D’ailleurs, le gouvernement ne récompense pas les autres catégories de personnes qui en font.
Justin Trudeau a commis une grave erreur de jugement en ne se récusant pas lorsque ce programme a été discuté lors d’une réunion de son cabinet. Non seulement ce contrat a été attribué sans appel d’offres, mais il a été accordé à un organisme qui a payé des honoraires de 312 000 $ à sa mère Margaret et de 40 000 $ à son frère Sacha. Son épouse, Sophie Grégoire, a aussi bénéficié d’un honoraire de 1 200 $ de Mouvement Unis, alors que M. Trudeau n’était qu’un simple député.
Erreur de jugement
Pour sa défense, Justin Trudeau a déclaré que « les règles ont été respectées ». Primo, on peut en douter puisqu’il n’y a pas eu d’appels d’offres. Aucun autre organisme canadien ne pouvait, paraît-il, gérer un tel contrat. Mais n’aurait-il pas pu l’être par la fonction publique ? Secundo, le premier ministre se trouvait en conflit d’intérêts à cause de la grande proximité de sa famille avec l’organisme bénéficiaire.
Cette affaire en est une d’éthique. Quand on est appelé à participer à une décision qui est susceptible de procurer un avantage à soi-même, à un membre de sa famille, à un ami proche ou encore à une relation d’affaires, et, donc, que l’on se retrouve ainsi en conflits d’intérêts, le premier geste à poser est de se récuser et de quitter la salle.
De même, il est hautement souhaitable de le faire même s’il n’y a qu’une apparence de conflit d’intérêts. En effet, une apparence de conflits peut en effet être aussi dommageable pour sa réputation qu’un véritable conflit d’intérêts.
Par expérience, je sais que certaines personnes ne semblent pas saisir qu’elles sont parfois en conflit d’intérêts lorsqu’elles participent à un conseil d’administration ou à une rencontre où elles ne sont pas indépendantes face à une décision qui y sera prise.
Il appartient alors au président du conseil d’administration, ou de la rencontre, de s’assurer que les personnes susceptibles d’être en conflit d’intérêts ne prennent pas part à une décision les concernant ou concernant un de leurs proches. Si c’est le président du conseil lui-même qui est en conflit d’intérêts, il faut qu’une autre personne ait le courage de soulever cette question. Cela demande une certaine audace, mais que fait-on à un conseil, si l’on n’a pas cette capacité ?
Jean-Paul Gagné est co-auteur, avec Daniel Lapointe, de l’ouvrage «Améliorez la gouvernance de votre OSBL : un guide pratique» (Les Éditions Transcontinental, 2019, 282 pages)