Pendant que l’économie reprend son cours, le maintien de la PCRE nuit à un grand nombre de PME en quête de travailleurs pour pourvoir les multiples postes vacants, plaide Raphaël Melançon. (Photo: La Presse Canadienne)
BLOGUE INVITÉ. Grosse semaine pour les aspirants premiers ministres fédéraux qui, à moins d’une semaine et demie du Jour-J, ont croisé le fer deux fois plutôt qu’une à la télévision nationale.
Les deux débats ont tourné trop souvent au festival de la cassette et des phrases creuses apprises à l’avance. On était bien loin d’un échange d’idées permettant d’aller au fond des choses et de contribuer positivement à l’exercice démocratique. Il faut dire que le format déterminé par la Commission des débats n’aidait pas. Il est plutôt difficile de résumer un programme électoral en moins de 30 secondes.
Quand la nation québécoise s’invite dans le débat
Il a beaucoup été question du respect de la nation québécoise et du fait français tout au long de la dernière semaine.
La Commission scolaire English-Montréal a ouvert le bal, mardi, en appelant les chefs fédéraux à contester la réforme de la Loi 101 proposée par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette et en affirmant que le Québec «n’est pas une nation» pour justifier son opposition au projet de loi 96.
La question a trouvé écho jusqu’aux débats des chefs. S’écartant de son devoir de réserve, jeudi soir, l’animatrice du débat en anglais a talonné le chef bloquiste Yves-François Blanchet sur la question de la laïcité et de la langue, qualifiant les lois québécoises de «discriminatoires». Pour l’objectivité, on repassera.
Qu’on se le tienne pour dit: les Québécois forment une nation à part entière, formellement reconnue par la Chambre des communes en 2006, et qui a le droit de vivre pleinement dans le respect de sa culture et de faire ses propres lois afin de protéger sa langue et ses valeurs traditionnelles, comme elle seule l’entend.
Dans ce vaste ensemble diversifié qu’est la fédération canadienne, il ne devrait pas y avoir de nation plus ou moins importante qu’une autre. Lorsqu’il est question de défendre les cultures traditionnelles des minorités, toutes les nations devraient être traitées sur un même pied d’égalité dans ce pays. Les Québécois n’y font pas exception.
N’en déplaise au Canada anglais, nous n’avons pas à nous excuser d’exister.
Quand la PCRE nuit à la relance
Les débats de cette semaine ont aussi donné lieu à des échanges intéressants sur l’avenir de la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), qui a succédé à l’ancienne PCU. Yves-François Blanchet et Erin O’Toole ont tous deux appelé à mettre fin progressivement aux programmes d’aide financière d’urgence, sauf pour certains secteurs où la relance se fait plus tardive.
Pendant que l’économie reprend son cours, le maintien de la PCRE nuit à un grand nombre de PME en quête de travailleurs pour pourvoir les multiples postes vacants. Et comme le gouvernement Trudeau a annoncé juste avant la dissolution du Parlement la prolongation de l’aide d’urgence jusqu’en octobre prochain, il reviendra au nouveau gouvernement de jongler avec la «patate chaude» au lendemain de son élection.
Selon les plus récents chiffres disponibles, au début de l’été 2021, 128 000 travailleurs québécois recevaient toujours la PCRE. Si tous décidaient de retourner sur le marché du travail demain matin, ce serait assez pour pourvoir près de 87% des quelque 146 000 postes actuellement vacants au Québec.
Alors, pénurie de main-d’œuvre ou excédent de travailleurs sur la PCRE?
(Re)lire: Débat des chefs 2021: ce que les entreprises doivent retenir
Le mirage du revenu minimum garanti
Pendant ce temps, la cheffe du Parti vert, Annamie Paul, rappelait l’engagement de son parti envers la création d’un revenu minimum garanti, comme le propose aussi le NPD.
En d’autres mots: une PCRE permanente.
Or, l’expérience des derniers mois démontre de manière assez probante l’impact néfaste qu’une telle mesure pourrait avoir sur le marché de l’emploi et à plus long terme, sur la survie d’un grand nombre de PME canadiennes et québécoises.
Ce n’est clairement pas en continuant à payer des gens pour qu’ils restent à la maison que le gouvernement fédéral parviendra à relancer l’économie du pays.
Dépenses publiques: la transparence est de mise
Questionné au sujet du coût des vaccins, Justin Trudeau a refusé de dévoiler le prix payé pour chaque dose, sous prétexte qu’il s’agissait de contrats avec des entreprises privées.
Or, ces contrats ont été payés avec les deniers des contribuables.
S’il était certes important d’assurer l’approvisionnement en vaccins en quantité suffisante, il n’en demeure pas moins que les Canadiens sont en droit de savoir combien l’opération leur a coûté et surtout, si leur gouvernement a su négocier une bonne entente avec les géants pharmaceutiques. Il s’agit là d’un devoir de transparence incontournable pour le gouvernement, particulièrement lorsqu’on endette le pays de 400 millions de dollars chaque jour.
Si les pays européens ont pu dévoiler leurs propres chiffres, qu’est-ce qui peut bien empêcher le Canada d’en faire tout autant?
Un débat crucial
Pour Justin Trudeau, les deux débats de cette semaine étaient l’occasion de remonter la pente après une campagne plus difficile qu’initialement espérée.
S’il a somme toute assez bien tiré son épingle du jeu au débat de mercredi en français, avec une performance plus convaincante qu’au face-à-face de TVA la semaine précédente, la situation était tout autre lors du débat en anglais, jeudi soir. Attaqué de toutes parts, le premier ministre sortant paraissait parfois déstabilisé et semblait avoir du mal à défendre son bilan des six dernières années.
Ce dernier débat, le seul à se dérouler dans la langue de Shakespeare de toute la campagne, était pourtant crucial pour le chef libéral. À seulement 10 jours du vote, c’était son unique occasion de s’adresser à près de 75% de la population du pays, dans des régions où la lutte s’annonce particulièrement chaude pour le PLC.
Alors qu’il rêvait d’une majorité il y a à peine un mois, Justin Trudeau tente aujourd’hui de s’accrocher à l’espoir de rester au pouvoir, avec une minorité qui sera potentiellement affaiblie au lendemain du 20 septembre. Et ça, c’est si les libéraux l’emportent face à un Parti conservateur qui consolide de plus en plus ses appuis.
Souffler sur les braises de la division
Si l’aiguille des intentions de vote ne bouge pas dans la bonne direction pour Justin Trudeau, on peut s’attendre à ce que l’équipe libérale use de tous les moyens nécessaires au cours de la prochaine semaine pour renverser la vapeur.
Le ton de cette campagne risque ainsi de se durcir encore plus alors que Justin Trudeau tente déjà depuis quelques semaines de provoquer les militants anti-vaccin, qu’il essaie par tous les moyens d’associer à Erin O’Toole. Ce genre de stratégie, dite de «wedge politics», est monnaie commune aux États-Unis, où le recours à des enjeux controversés et clivants — les «wedge issues» — permet de créer de la division au sein de la population à son avantage.
C’est toutefois un jeu dangereux ; en tentant de semer la division sur des questions vitales comme la vaccination obligatoire dans le seul but de mettre ses adversaires en déroute, Justin Trudeau ne contribue-t-il pas lui-même à attiser les tensions sociales sur le sujet?
Chose certaine, ce n’est rien pour apaiser le climat politique toxique. Et les conspirationnistes, ne se rendant pas compte qu’ils servent les intérêts du Parti libéral en aidant à sa réélection avec une telle effusion d’agressivité et de violence, continueront probablement de lancer des roches sur l’autobus de campagne de Justin Trudeau et sur les médias qui le suivent…
Pour les libéraux, on est définitivement loin de la campagne de 2015, des discours rassembleurs et des grands bains de foule avec selfies.
Serions-nous arrivés à la fin des «voies ensoleillées»?