Le ministre allemand de l'Économie, Peter Altmaier, a dévoilé cette semaine Une stratégie industrielle nationale pour 2030 (source photo : Getty)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Après les États-Unis, c’est au tour de l’Allemagne de se doter d’une stratégie industrielle pour protéger ses fleurons nationaux et stimuler l’innovation de son industrie. Une contre-attaque à la stratégie chinoise du Made in China 2025, qui crée une pression immense sur les entreprises manufacturières et technologiques en Occident.
Le 5 février, le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmaier, a dévoilé Une stratégie industrielle nationale pour 2030 afin de défendre des secteurs comme la métallurgie, l’automobile, les machines-outils, la chimie ou les innovations disruptives.
À ses yeux, le maintien dans le pays d’entreprises bien établies comme Thyssenkrupp, BASF, Siemens ou Deutsche Bank est vital pour l’économie allemande, sans parler des BMW et autres Audi de ce monde dans le secteur automobile.
Ultimement, l’Allemagne souhaite demeurer un leader industriel et ne pas devenir une économie de sous-traitants au service de multinationales chinoises et américaines.
Concrètement, cette politique permet à Berlin d’intervenir, y compris financièrement, en prenant des participations dans le capital-actions, afin d’éviter que des fleurons ne passent aux mains d’étrangers.
Berlin envisage d’ailleurs de créer un fonds d’investissement pour appuyer les secteurs clés.
Le gouvernement allemand ne propose pas de faire des nationalisations, «mais d’empêcher que des industries importantes pour le pays ne soient rachetées et quittent le territoire», rapporte le quotidien français Le Figaro.
En 2016, les Allemands ont vécu un traumatisme avec «l’affaire Kuka».
La chinoise Midea a acheté avec le soutien financier de Pékin le champion allemand de la robotique Kuka, sans que Berlin ne puisse faire quoi que ce soit pour empêcher cette transaction qui s’inscrit dans la politique du Made in China 2025.
Pourquoi le Made in China 2025 fait peur
Adoptée en 2015, cette dernière vise à développer en Chine des technologies comme les voitures électriques, les nouveaux matériaux ainsi que les machines automatisées et la robotique. Elle s’appuie aussi sur l’acquisition de technologies étrangères.
Trois années charnières sont à retenir:
- En 2025, la Chine veut que son industrie manufacturière soit très innovante et très efficace, ce qu’elle n’est pas actuellement.
- En 2035, la Chine veut être capable de concurrencer en termes de qualité avec les principales puissances manufacturières des pays développés.
- En 2049, centenaire de la fondation du régime communiste, la Chine veut être LA puissance manufacturière dominante.
Selon plusieurs analyses, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine est aussi une riposte de l’administration Trump contre le Made in China 2025.
Car les secteurs de l’économie chinoise visée par Washington sont en fait les secteurs prioritaires de haute technologie ou de valeur ajoutée que Pékin a identifiés pour moderniser la Chine dans les prochaines décennies, souligne le Financial Times de Londres.
Berlin ne veut pas seulement protéger ses fleurons.
Il veut aussi créer de nouveaux champions, bien plus gros, capables de rivaliser avec les grandes sociétés chinoises -et, du reste, américaines.
Lors de la divulgation de la stratégie industrielle 2030, le ministre allemand de l’Économie a indiqué que l’Allemagne devait notamment jouer un rôle important dans les secteurs de la finance et des banques.
Une mise au point qui survient alors que les spéculations vont bon train sur la fusion des deux premières banques allemandes, Deutsche Bank et Commerzbank.
L’Allemagne souhaite aussi le rapprochement de grandes entreprises en Europe, à commencer par la française Alstom et l’allemande Siemens, un projet auquel la France est favorable dans le cas d’un «mariage équilibré».
Or, cette semaine, la Commission européenne a rejeté ce mariage, car le rapprochement des deux constructeurs de matériels ferroviaires risquait de limiter la concurrence et de faire augmenter le prix des trains en Europe.
Cette décision a d’ailleurs soulevé l’ire du gouvernement allemand.
Pour favoriser les fusions en Europe, Peter Altmaier suggère d’ailleurs que le droit allemand et le droit européen soient réexaminés et, au besoin modifiés, afin de permettre une concurrence internationale «d’égal à égal», rapporte Le Monde.
Le ministre propose même de créer un «Airbus de l’intelligence artificielle» (sur le modèle du consortium européen dans l’aérospatiale qui a notamment des activités en Allemagne et en France), un domaine où la Chine et les États-Unis ont pris une longueur d’avance.
La nouvelle mondialisation
La planète économique a bien changé ces dernières années.
La Chine est non seulement devenue une puissance économique, mais elle est devenue une puissance technologique, notamment dans le secteur des télécommunications, comme en témoigne la guerre entre Chinois et Américains dans le déploiement du 5G dans le monde.
Les gouvernements interviennent de plus en plus dans l’économie, notamment aux États-Unis.
Bref, l’économie mondiale est en mutation et il faut s’adapter, selon Peter Altmaier.
«Le marché mondial se trouve dans un processus de changement radical et profond. Par l’accélération de la mondialisation et de l’innovation d’un côté, par l’augmentation des interventions étatiques et le renoncement aux accords multilatéraux de l’autre.»
Washington, Pékin et, maintenant, Berlin, ont changé leur approche face à la mondialisation, sans parler de pays comme le Japon qui protège depuis longtemps ses fleurons industriels.
Qu’on le veuille ou non, ce débat nous rattrapera un jour ou l’autre au Canada.
Protégerons-nous également nos fleurons économiques, comme vient de l’annoncer la quatrième économie mondiale?
Les avis sur la question sont partagés ici entre les tenants du laissez-faire et de l’interventionnisme.
Du reste, le statu quo est-il encore possible pour le Canada, qui n’est plus que la 10e économie mondiale, selon le Fonds monétaire international (FMI)?
À suivre…