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Le bitcoin ne sert à rien

François Remy|Mis à jour le 13 juin 2024

Le bitcoin ne sert à rien

Tout semble en effet devoir être réexpliqué à propos de Bitcoin, malgré les efforts de vulgarisation d'âmes charitables et de projets entrepreneuriaux profitables. (Photo: 123RF)

LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.

(Illustration: Camille Charbonneau)

LES CLÉS DE LA CRYPTO. C’est manifestement l’invention la plus inutile et la plus surcotée de ce siècle. À l’heure où le prix du BTC gagne des sommets d’altitude sans précédent, le débat public doit sans plus tarder s’emparer du problème.

Le bitcoin ne sert à rien. Cet «argent d’Internet» ne possède le véritable statut de monnaie que dans une minuscule dictature d’Amérique centrale. Fétiche des chercheurs d’or numérique, le crypto-actif n’a été introduit au temple du Capitalisme que pour le bonheur des spéculateurs. Si le cours boursier du BTC s’envole, c’est bien parce qu’il n’a jamais été aussi simple de parier sur plus fou que soi (c’est-à-dire cet idiot d’investisseur susceptible d’en acheter à un prix encore plus élevé).

Pire, le bitcoin nuit. Pour fonctionner, son réseau vole de la précieuse électricité et siphonne les océans. Repaire de drogués, de pédocriminels, de terroristes, sa chaîne de blocs finance le Mal…

 

Qu’est-ce qu’on aime détester Bitcoin!

Quitte à ne pas trop s’encombrer de faits scientifiques, de données statistiques, de processus réseautique.

Face à ce système d’une grande complexité qui invite depuis 15 ans à l’analyse et la réflexion, la réprobation a pris une dimension d’automatisme intellectuel. La critique, rapidement ou partiellement fondée, est devenue une sorte de déformation professionnelle. Chez les économistes et les banquiers, les législateurs et les dirigeants, ainsi que, avouons-le, les médias. Sous la pression d’une actu qui ne dort jamais, ascensions et dégringolades du bitcoin s’intègrent parfaitement au schéma narratif simpliste de pur objet spéculatif sans utilité sociale.

Décideurs, argentiers, médias, tous les pouvoirs des États démocratiques semblent ainsi condamner durement cette innocente technologie. Peut-être en raison de la proposition de valeur de Bitcoin, cette machine à confiance, à transparence, à liberté. On serait un brin parano qu’on penserait ces condamnations systématiques orchestrées par les États pour maintenir la population dans un certain degré d’obscurantisme. Telle l’interdiction formelle de traduire la Bible afin d’empêcher le peuple d’accéder au sens des Écritures.

Une vision dystopique du monde actuel pour souligner la profondeur de Bitcoin comme protocole informatique mais également comme logiciel de pensée au travers duquel nous redécouvrons nos rapports à l’autre, à la vie privée, à la monnaie, à l’autorité. Ce n’est pas un hasard si les mouvances des Cypherpunks et des libertariens se sont emparés de l’outil technologique dès son apparition.

Le mystérieux inventeur, Satoshi Nakamoto, ne semblait poursuivre à l’origine de son code qu’une amélioration des systèmes de paiement. Sans lutte idéologique militante mais plutôt une volonté d’alléger les structures techniques et de les désolidariser d’intermédiaires non nécessaires. S’est adjointe une dimension monétaire, désinflationniste, pour assurer une gestion saine à sa monnaie numérique intégrée pour la première fois à son système de paiement.

 

Bref, faut-il tout reprendre depuis le début?

Tout semble en effet devoir être réexpliqué à propos de Bitcoin, malgré les efforts de vulgarisation d’âmes charitables et de projets entrepreneuriaux profitables. À titre personnel, Les Affaires m’accorde la chance depuis 2017 de pouvoir traiter l’innovation popularisée par Bitcoin et ses enjeux sociétaux comme une thématique majeure à part entière.

Et, alors que le cours du bitcoin a dépassé dernièrement les 88 600 dollars canadiens l’unité, signant un nouveau record historique d’altitude (ATH), l’occasion est belle de préparer un débat public d’une meilleure qualité que lors des précédentes envolées, pour reprendre les mots inspirés d’un expert français. «Journalistes, politiques, écolos, financiers, bitcoineurs, il est de notre responsabilité à toutes et tous d’offrir à la société un débat apaisé et de qualité sur ce sujet important», développe Alexandre Stachtchenko dans une lettre ouverte.

Pour bien entamer cette nouvelle approche, citons deux exemples aussi antipodiques que révélateurs sur les progrès permis par le réseau Bitcoin.

D’abord, abordons l’une des applications les plus prometteuses de la blockchain mais restée jusqu’à présent potentielle: l’identité numérique décentralisée, soit des identifiants portables qui fonctionneraient comme une clé passe-partout sur le web. Et au lieu que les géants du web détiennent les accès, l’utilisateur gérerait cette clé.

Consciente des enjeux, la multinationale américaine Microsoft planche depuis de longues années sur ce domaine. Quel rapport avec Bitcoin? Microsoft a déployé en 2021 son infrastructure ouverte d’identifiants ION sur le réseau principal Bitcoin pour développer, avec d’autres entreprises et organisations, ce nouveau sésame.

Autre application, autre rendez-vous, cette fois dans le plus ancien parc national d’Afrique, habitat naturel de plus de la moitié des espèces terrestres du continent: le Parc national des Virunga, où se dresse une mine de bitcoins.

Alimentée par des centrales hydroélectriques, cette «turbine à BTC» permet notamment de financer les infrastructures. Une chocolaterie attenante parvient ainsi à employer des travailleurs locaux, en donnant priorité aux veuves des gardes qui assurent la sécurité de cette réserve protégée cible de milices.

Le minage génère quelque 150 000US$ par mois, soit l’équivalent des revenus du tourisme pour le parc des Virunga. «Croyez-moi, lorsque nous avons commencé (à miner du bitcoin) aux Virunga, ce n’était pas évident», confiait récemment Emmanuel de Merode, directeur du Parc national des Virunga

«Cela le paraît aujourd’hui parce que cela a été tellement bénéfique pour nous, mais cela demande de faire le grand saut dans cet état d’esprit très créatif.»

Autrement formulé, il ne sert plus à rien de dire que le bitcoin ne sert à rien.