Le premier ministre Justin Trudeau et son holomogue Theresa May (Source photo: Getty)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE – À moins d’une surprise de taille, le Royaume-Uni sortira de l’Union européenne (UE) sans avoir une entente à l’amiable avec Bruxelles pour garder un accès privilégié au marché européen. Une situation qui fera mal aux entreprises britanniques, mais aussi aux sociétés canadiennes qui commercent avec le Royaume-Uni.
Même si la défaite de la première ministre Theresa May était prévisible, l’ampleur de sa débâcle pour faire adopter son accord de sortie de l’UE par le parlement britannique (432 voix contre, 202 pour) témoigne de l’ampleur de la crise qui ébranle la cinquième économie mondiale -la deuxième d’Europe.
Theresa May a quelques jours pour présenter un plan B en prévision de la sortie officielle du pays, prévue le 29 mars.
Mais étant donné les circonstances, on voit mal comment son gouvernement pourrait présenter un nouvel accord permettant de recueillir une majorité des voix du parlement à court terme.
Les conséquences sont importantes pour les exportateurs canadiens.
Car, en principe, l’accord de libre-échange conclu par le Canada avec l’Union européenne (l’AECG, en vigueur depuis septembre 2017) ne devrait plus s’appliquer plus au Royaume-Uni à partir d’un Brexit officiel, et ce, probablement le 29 mars.
Par conséquent, les entreprises canadiennes devront vraisemblablement payer à nouveau des tarifs douaniers sur leurs expéditions de marchandises vers ce pays, comme c’était le cas du reste avant l’entrée en vigueur de l’AECG.
Il s’agit des tarifs prévus par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour les pays qui n’ont pas d’accord de libre-échange entre eux. Le tarif moyen s’élève de 3 à 4%. Par contre, les tarifs peuvent être beaucoup plus élevés selon les produits.
L’enjeu est de taille, car le Royaume-Uni est le troisième marché d’exportation du Canada (18 milliards de dollars canadiens en 2017), après les États-Unis (415 G$) et la Chine (24 G$), selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
Les importations en provenance du Royaume-Uni seraient aussi sujettes à des tarifs douaniers.
De plus, les entreprises canadiennes perdraient leur accès aux marchés des approvisionnements publics au Royaume-Uni, et les sociétés britanniques perdraient l’accès à ceux au Canada.
Les options de Theresa May
Bien entendu, Londres pourrait demander à Bruxelles une prolongation de la période de négociation de deux ans prévue par l’article 50 du traité de l’Union européenne en cas du retrait d’un pays, comme l’a suggéré l’ex-premier ministre Tony Blair à la BBC.
Le cas échéant, rien ne garantit toutefois que le parlement britannique adopterait un nouvel accord, même s’il était conclu bien après le 29 mars.
Et, même s’il était adopté, rien ne garantit que cette entente couvrirait l’AECG.
Aussi, un éventuel accord entre Londres et Bruxelles pourrait aussi mettre un terme au libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.
Par ailleurs, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre au Royaume-Uni pour la tenue d’un autre référendum sur l’appartenance ou non du Royaume-Uni à l’Union européenne.
Là aussi, un tel scénario est peu probable.
D’une part, parce que la première ministre May s’est toujours engagée à respecter la volonté populaire et démocratique du référendum du 23 juin 2016, c’est-à-dire une sortie du pays de l’Union.
D’autre part, parce que les dirigeants du parti travailliste -la formation politique qui pourrait prendre le pouvoir advenant une élection précipitée- sont plutôt «eurosceptiques», donc très critiques de l’Union européenne, comme le souligne le quotidien français Le Monde.
Bref, les astres semblent de plus en plus alignés pour un Brexit «dur»,
Du reste, plusieurs pays européens s’y préparent intensivement depuis le rejet de l’entente de Theresa May par le parlement britannique, le 16 janvier.
La France vient de déclencher un plan national sur lequel le gouvernement travaille depuis avril qui prévoit entre autres pour 50 millions d’euros (75 M$CA) de travaux d’aménagement dans les ports et les aéroports, sans parler de l’embauche de douaniers et de vétérinaires.
Car, sans accord avec l’UE, les exportations britanniques seront soumises à des tarifs douaniers et à des inspections comme le sont les produits des pays qui n’ont aucun lien privilégié avec le marché européen.
Cette situation crée de l’incertitude chez les entreprises européennes présentes dans plusieurs pays d’Europe, incluant le Royaume-Uni, et qui ont une chaîne d’approvisionnement en juste-à-temps, selon le Wall Street Journal.
C’est notamment le cas la pharmaceutique française Sonafi. Ses établissements au Royaume-Uni expédient régulièrement des médicaments et des vaccins dans ses usines situées sur le continent européen.
Le Royaume-Uni devient un tremplin moins intéressant
Un Brexit «dur» crée aussi des maux de tête aux entreprises canadiennes qui sont présentes au Royaume-Uni et qui se servent de ce pays comme d’un tremplin pour le marché européen.
Bien entendu, une fois le Brexit finalisé, elles pourront continuer à vendre leurs produits dans le marché de l’Union européenne. Par contre, elles devront payer des tarifs et se soumettre à des inspections quand leurs produits entreront dans le marché commun.
Il est difficile d’imaginer qu’une sortie du Royaume-Uni sans aucun accord puisse durer très longtemps.
La pression sera très forte des deux côtés de la Manche pour que Londres et Bruxelles concluent à terme un accord de libre-échange étant donné l’intégration économique et financière du Royaume-Uni avec le marché européen.
On assistera aussi probablement à la même chose entre le Canada et le Royaume-Uni, dont les liens politiques, économiques et culturels sont très forts.
Mais cela prendra un certain temps.
C’est pourquoi, à court et à moyen termes, les entreprises et les investisseurs canadiens ont tout intérêt à se préparer à un Brexit «dur».