(Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. Tout succès commence bien souvent par un échec ou une succession d’erreurs. La clé de la réussite est de ne pas les répéter et de s’inspirer de ce qui n’a pas fonctionné pour mieux reconnaître les risques futurs. Non, rien de nouveau, on le sait…
« Il ne suffit pas de se demander à quoi ressemblent les gens qui réussissent », a écrit Malcom Gladwell dans son livre à succès «Tous winners». « Ce n’est qu’en les questionnant sur leur cheminement que nous pouvons démêler la logique derrière les conditions de succès ou d’insuccès. » En fait, tout est là. On admire ceux qui réussissent et qui brillent, mais on oublie souvent qu’on ne voit que la pointe de l’iceberg. En dessous, il y a des cartons entiers de dossiers qui ont mal tourné, et c’est ce qu’il faut découvrir pour connaître vraiment les raisons du succès. Tout l’art du recrutement est de capter cette dimension.
Il y a plusieurs années, un PDG m’a interpellé en me disant: «Ne me présente pas le candidat parfait sans tache. Je veux un candidat qui a des cicatrices et qui est allé à la guerre.» J’ai toujours gardé cette recommandation en tête.
Percer le mystère du candidat, ce n’est pas le coincer en entrevue, c’est plutôt chercher à mesurer sa résilience dans sa capacité à surmonter des épreuves professionnelles ou personnelles et, parfois, les deux simultanément. Évaluer sa capacité à gérer l’adversité dans les pires moments et faire preuve de conscience de soi. On sait qu’il existe une certaine corrélation entre la performance de l’entreprise et d’un dirigeant avec sa situation personnelle (divorce, maladie d’un proche, etc.). La capacité de l’individu à jongler avec l’adversité et à rebondir, faire des choix et admettre même temporairement sa vulnérabilité sont de bons indicateurs de son agilité à se sortir de toutes sortes de situations difficiles.
Évidemment, en entrevue et à la sélection, il faut être capable d’établir la confiance et la sécurité psychologique pour que le candidat s’ouvre sans se sentir «sous enquête».
Notre résilience se construit lorsque nous faisons face à des échecs. Nous la construisons lorsque nous acceptons que certaines choses ne puissent être changées ou que nous sommes confrontés à une impasse. En informatique, on dit que la résilience, c’est « la capacité d’un système à continuer de fonctionner, même en cas de panne ». Chaque fois que nous faisons face à une situation qui nous met au défi en arrivant finalement à la surmonter, nous renforçons un peu plus notre résilience. Donc, la résilience se bâtit et se développe. Plus vous aurez de conversations difficiles dans votre vie professionnelle, meilleur vous serez pour les gérer avec brio.
On peut dire que les deux dernières années auront été formatrices pour nombre d’entre nous.
On recherche aujourd’hui des chefs dotés de chaleur humaine et d’empathie, tout en étant enthousiastes et positifs. C’est ça être résilient. Garder le cap et continuer de motiver ses équipes avec passion. C’est avec cette force intérieure et cette énergie que se forgent les grands leaders.
Comment aborder la question dans un processus d’embauche alors que tous cherchent à donner le meilleur d’eux-mêmes pour paraître invincibles?
Laisser transparaître sa vulnérabilité requiert une forte dose d’humilité et le courage de partager des exemples. Pas juste ceux qui paraissent bien, mais ceux dont on n’est pas toujours fiers.
J’ai appliqué cette recette dans le processus pour lequel mon client m’avait demandé un candidat avec des cicatrices.
Un des individus (celui qui a eu le poste) m’avait raconté comment, dans le cadre d’une acquisition d’entreprise, il s’était senti (trop) dans le siège du pilote. En contrôle total qui l’a mené à l’excès de confiance (une mesure utilisée en finance comportementale). Sa structure de rémunération l’incitait à finaliser des transactions d’acquisitions et il disposait d’un budget généreux pour les réaliser. Il en a perdu son point central. Il a avoué avoir « bâclé » certaines vérifications diligentes et ignoré les signes. Parce qu’il voulait annoncer de « bons coups » et rendre jaloux ses compétiteurs (et ses collègues). Trois ans plus tard, il ne restait pas grand-chose de ce qu’il avait acheté à fort prix, les greffes n’avaient pas pris et il avait découvert des problèmes financiers qui auraient pu être détectés au départ.
La leçon qu’il en avait retenue (à la dure, il a perdu son poste) est qu’il aurait dû prendre plus de temps, faire fi des objectifs de l’entreprise et miser sur son équipe d’experts en évaluation. À y penser, pas besoin de lever son t-shirt pour montrer ses tatouages ou cicatrices, juste en parler et à en prendre conscience, ça va aider…
Aujourd’hui, la personne en question fait partie des meilleurs dirigeants que je connaisse. La dernière fois que je lui ai parlé (pour cette chronique), il me livrait ceci: «L’important n’est pas de remporter toutes les batailles, mais de gagner la guerre et d’être encore là pour célébrer avec ses troupes.» J’ai alors eu une pensée pour ceux qui se battent de l’autre côté de l’Atlantique.
* Why CEOs Fail: The 11 Behaviors That Can Derail Your Climb to the Top — and How to Manage Them. April 17 2003 — by David L. Dotlich (Auteur), Peter C. Cairo (Auteur)