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ANALYSE. Il n’y a pas que les bénéfi-ciaires du confinement et des restrictions sanitaires, tels que les épiciers, le Marchés commerce en ligne et les fournisseurs technos, qui voient leurs résultats enflés par la pandémie.
Dans le cas de ces entreprises, les investisseurs se doutent bien qu’elles auront une barre comparable difficile à franchir lors des prochains trimestres, au minimum.
De multiples industries voient leurs revenus exploser de façon inattendue, ce qui peut devenir un casse-tête pour les investisseurs.
Comment évaluer une entreprise quand on sait que le pic pandémique des revenus ne se reproduira pas? Il peut être encore plus difficile d’établir à quel point la future demande pour un produit ou un service a été tirée vers l’avant et quelle sera la trajectoire lors de l’éventuel retour à la normale.
L’industrie automobile est probablement un des exemples les plus frappants de ces distorsions. Avril a enregistré les plus grandes ventes de véhicules depuis juillet 2005 si l’on se fie au taux annuel désaisonnalisé de 18,5 millions de véhicules, soit plus du double d’avril 2020, rapporte RBC Marchés des capitaux. Ce genre d’enflure ne peut pas durer bien longtemps.
Lassonde et de Richelieu
Plus près de nous, le producteur des jus Oasis et SunRype, Industries Lassonde (LAS.A, 192,00 $), a bénéficié de la vente de jus de fruits de marque privée dans les épiceries, en particulier ceux de longue conservation. L’entreprise de Rougemont prévoit des revenus stables en 2021, loin de la croissance interne de 5,3 % affichée au troisième trimestre de 2020 ou celle de 8,7 % du dernier trimestre.
Pour sa part, le distributeur de quincaillerie architecturale Quincaillerie Richelieu (RCH, 43,53 $) a aussi vu les ventes aux détaillants de déco-rénovation exploser de 34,5% au premier trimestre sans l’effet des acquisitions. Les analystes prévoient que la croissance des ventes totales se modérera à 7,7 % en 2022.
La folie du bois
Le même phénomène frappe le fabricant de traverses et de poteaux Stella-Jones (SJ, 52,71 $). Le bond de 139% des ventes comparables de bois d’oeuvre résidentiel a propulsé le premier trimestre à un record.
La marge d’exploitation a aussi grimpé à 27 %, à 15,9 %, par rapport au trimestre comparable de 2020. Plusieurs analystes relèvent leurs estimations et leur cours cible en raison de la hausse de 17 % de l’aperçu de 2021 du bénéfice d’exploitation. Stella-Jones prévoit en effet une hausse annuelle de 45 % à 65 % des ventes de bois traité à usage résidentiel.
Certains préfèrent toutefois rester plus prudents. Maxim Sytchev, de la Financière Banque Nationale, prévient les investisseurs de ne pas extrapoler la performance du premier trimestre parce que l’engouement «sans précédent»pour le bois résidentiel a déjà doublé à 27 % la part des revenus totaux que procure cette division depuis deux ans.
L’aperçu de Stella-Jones laisse croire que la demande persistera au moins jusqu’à la mi-année, mais les ventes du troisième trimestre pourraient fléchir. Après tout, au premier trimestre, près de 70 % de la croissance des revenus de bois résidentiel provenait de la flambée des prix qui s’écarte de la moyenne du cours à long terme par un écart-type de 11 fois. L’inévitable retour à la moyenne justifie sa recommandation neutre et son cours cible inchangé de 57 $. Les nouvelles prévisions de Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux, mettent en relief le dilemme des investisseurs. Bien qu’il hausse de 396 millions de dollars (M $) à 468 M$ le bénéfice d’exploitation prévu en 2021, celui de 2022 passe de 394 M $ à 402 M $, ce qui représente un déclin de 15,8 %. L’analyste maintient donc son cours cible de 56 $. Malgré le risque d’un pic dans la demande et les cours pour le bois résidentiel, le cycle de remplacement des poteaux d’électricité et la demande stable pour les traverses de chemin de fer suffisent à préserver son intérêt pour Stella-Jones. «Il reste à voir de quoi auront l’air les ventes plus normales de bois résidentiel par rapport aux projections de notre modèle», indique l’analyste. Des acquisitions prochaines compensent en partie ce risque, ajoute-t-il. Le cours cible de 56 $ de Benoit Laprade, de Banque Scotia, table aussi sur un recul de 14 % du bénéfice d’exploitation en 2022.
L’évaluation à accorder à Stella-Jones ne fait pas consensus non plus. Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux, juge qu’un multiple de 11 fois le bénéfice d’exploitation de 2022 est approprié. Cette évaluation supérieure aux sociétés comparables reflète déjà la «nature défensive»des revenus de la société.
Son collègue Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, opte pour un multiple de 12 fois pour établir son nouveau cours cible de 65 $. À son avis, la résilience des activités de la société, sa stratégie de retour de capital et des acquisitions imminentes réévalueront son titre à la hausse.
Les prochains trimestres risquent donc de réserver des surprises aux investisseurs parce que l’analyse de la croissance des sociétés par rapport à leur évaluation se compliquera. Les investisseurs pourraient réagir de façon inhabituelle aux résultats et ainsi causer des remous ou au contraire des occasions d’achat.