«Avec la crise du logement, c'est un pari risqué de refroidir l'appétit des investisseurs pour le marché immobilier canadien.» (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Il est compréhensible que ceux qui ont à payer un impôt plus élevé se plaignent. Mais lorsque la majorité de ceux-ci font partie de la classe moyenne, je trouve surprenant que le gouvernement fédéral prétend que la hausse du taux à 66,7% a des répercussions sur les ultrariches.
Éric Sansoucy, président du conseil d’administration de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), explique que «de nombreux propriétaires songent abandonner la détention de leur immeuble. Le contexte est difficile: immeubles à rénover sans incitatif, faibles loyers contrôlés, inflation sur les coûts de gestion et de détention, hausse dramatique des coûts d’intérêts, etc.»
Il ajoute que «l’acheteur est souvent un investisseur aux poches profondes, pour qui la rénoviction est actuellement la seule avenue possible pour réaliser un profit à court terme, par l’augmentation rapide des loyers et de la valeur du bâtiment, pénalisant donc à la fois ET les propriétaires traditionnels qui souhaitaient avoir une détention à long terme ET les locataires confrontés à une croissance des rénovictions et du prix des loyers.»
Les particuliers peuvent multiplier l’usage du taux à 50%
Le taux d’inclusion demeure inchangé à 50% pour le premier 250 000$ de gain par année et par personne. Si un couple vend un immeuble, chacun aura droit à ce taux d’inclusion pour le premier 250 000$.
Certains suggèrent que de répartir les paiements sur quelques années, par le biais d’une balance du prix de vente, permettraient d’utiliser plusieurs fois le taux d’inclusion à 50% pour une transaction. Attendons les opinions des fiscalistes.
D’ici le 25 juin, un particulier qui décide de vendre à un taux d’inclusion de 50% sur le plein montant de gain en capital. Mais le délai est très court pour signer un acte de vente chez le notaire.
Peu d’échappatoires pour une société
Les médias ont beaucoup insisté que le gouvernement estime qu’il y aura que 40 000 gains en capital pour les particuliers annuellement. On a moins insisté qu’il y aura un plus grand nombre de gains par des sociétés, soit 307 000.
Presque tous mes clients ont un emploi et détiennent leurs immeubles sous une société de portefeuille. Ce ne sont pas des millionnaires. Il n’y a pas d’avantage fiscal de détenir des immeubles sous une société.
Maintenant ces sociétés seront désavantagées. Dès le premier dollar, le taux d’inclusion sera de 66,7%.
Un propriétaire pourrait être tenté de vendre son immeuble à une autre de ses sociétés avant le 25 juin prochain pour payer de l’impôt qu’avec un taux d’inclusion de 50%. Si le propriétaire a l’intention de détenir à long terme cet immeuble, je ne m’attends pas à ce qu’il fasse cette cristallisation de leur gain.
Équitable?
Il y a un principe d’intégration en fiscalité: un dollar gagné par une société, puis versé à un actionnaire devrait être imposé au même taux qu’un dollar de revenu gagné par un particulier.
«L’intégration n’était pas parfaite. Maintenant, la différence sera majeure sur le gain en capital, mentionne Pierre-Olivier Desrosiers, CPA, président-fondateur chez Libre Finance Conseil. Le même immeuble détenu en société, au lieu d’être détenu directement par le particulier, voit sa facture fiscale sur son gain en capital augmenter pour le premier 250 000$ de 10%.»
Les entrepreneurs, eux, reçoivent un traitement de faveur, avec exemption du premier gain de 1,25 million.
Et c’est sans compter la nouvelle mesure qui fera glisser le taux d’inclusion à 33,3% pour le premier 200 000$ en 2025. Ce montant augmente annuellement pour atteindre deux millions en 2034. C’est une mesure qui vient pallier la hausse du taux d’inclusion de 50% à 66% des gains en capitaux.
Les montants de gains en capital élevés résultent de la détention d’actifs pendant une longue période. Une grande partie du rendement ne fait que compenser la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation. En théorie, nous pourrions remédier à cette injustice en indexant les plus-values, mais en pratique, c’est difficile à faire. Au lieu de cela, une solution simple mais juste est d’avoir un faible taux d’inclusion.
C’est une taxe qui a un effet rétroactif pour ceux qui détiennent un immeuble depuis longtemps.
La détention par le biais d’une société de portefeuille devient moins avantageuse qu’une détention personnelle.
«La mesure frappe le fonds de pension de la grande majorité des propriétaires d’immeubles québécois appartenant à la classe moyenne. En effet, 70% des propriétaires d’immeubles au Québec ont au total cinq logements et moins», souligne Éric Sansoucy.
Un gain capital est moins imposé qu’un salaire ou un dividende. On tente de rendre le système fiscal plus équitable mais on crée d’autres iniquités.
Répercussions
Le rendement après impôt étant moindre, les propriétaires vont changer leur comportement.
Les propriétaires sont récompensés par la prise de valeur de l’immeuble. Ils ont l’option de ne pas vendre, refinancer et réinvestir.
Plusieurs investisseurs immobiliers sont des entrepreneurs dans l’âme. On les décourage de construire ou de détenir des immeubles.
Lorsqu’une personne décède, on considère qu’elle a vendu tous ses biens juste avant son décès, même s’il n’y a pas de disposition ou de vente réelle.
«Nous vivrons au cours des dix prochaines années, le plus grand transfert de richesse intergénérationnelle de tous les temps. Un particulier ayant choisi d’être salarié et d’investir sa retraite dans un immeuble est maintenant fiscalement défavorisé», souligne Pierre-Olivier Desrosiers, CPA.
Éric Sansoucy mentionne que «la CORPIQ a lancé vendredi dernier une pétition demandant au gouvernement d’exclure les immeubles locatifs de la mesure. En quelques heures à peine, plusieurs milliers de contribuables l’avaient signée et laissé de nombreux commentaires mettant en relief la fausse route sur laquelle s’engage le gouvernement».
Fiscalement, les propriétaires ont avantage à ne pas vendre. Dans quelques années, je m’attends à ce que l’on revienne à un taux de 50 %, pour la simple raison que l’on a besoin de plus de capitaux privés pour la construction et la détention d’immeubles.
Avec la crise du logement, c’est un pari risqué de refroidir l’appétit des investisseurs pour le marché immobilier canadien.
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