(Photo: Amy Hirschi pour Unsplash)
CHRONIQUE. Dominique Brown, le PDG de Chocolats Favoris, pensait avoir touché le fond lorsqu’un lundi de septembre 2018, il avait été contraint de tenir lui-même la caisse de sa succursale à côté de l’avenue Cartier, à Québec. Faute de main-d’oeuvre. Cela l’avait tellement secoué qu’il en avait fait un billet sur sa page Facebook, dévoilant que sa banque de CV à Québec n’en comptait que sept, «même pas 10», avait-il alors souligné.
Ce que ne savait pas le Dragon, c’est qu’il serait peu après victime d’un phénomène encore plus terrible que la pénurie de main-d’oeuvre : le ghosting (je me permets d’adresser ici un clin d’oeil amical aux férus de Tinder), c’est-à-dire la tendance récente qu’ont les candidats à l’embauche à laisser tomber leurs démarches auprès d’un employeur, du jour au lendemain, sans plus donner le moindre signe de vie ; ceux-ci filent à l’anglaise, aussi mystérieusement qu’un fantôme. «Récemment, j’ai recruté des gens intéressants, et quand est arrivée leur première journée de travail chez nous, rien, personne, pas même un coup de fil», avait-il confié quelques semaines plus tard, à l’occasion d’un événement organisé par le journal Les Affaires.
Chocolats Favoris joue-t-elle de malchance ? Aucunement. Une étude menée par le moteur de recherche d’emploi Indeed a mis au jour le fait qu’en Amérique du Nord, ce sont pas moins de 69 % des entreprises – tous secteurs d’activité confondus – qui ont été victimes de ghosting, ces deux dernières années. Ce qui est énorme.
Que leur arrive-t-il, au juste ? Le plus souvent, le candidat ne se présente pas à l’entretien final, celui qui déterminera qui décrochera l’emploi en jeu. Autre possibilité : le candidat ne répond plus aux courriels et autres appels téléphoniques. Ou encore, comme pour Chocolats Favoris, il ne se présente pas à sa première journée de travail, même s’il a d’ores et déjà signé son contrat. Sans surprise, 70 % des employeurs à qui cela est arrivé s’en disent «frustrés», parfois même de façon «extrême».
L’étude d’Indeed permet de se faire une idée du profil type de ceux qui font aujourd’hui du ghosting et, surtout, de leurs motivations :
- Pas les jeunes diplômés. L’âge médian de ceux qui font du ghosting est de 34 ans. Dans 70 % des cas, ils occupent déjà un poste à temps plein. Autrement dit, il ne s’agit pas – contrairement à ce que plus d’un imaginait sûrement – de jeunes fraîchement diplômés aimant à papillonner d’un emploi à l’autre au gré de leur humeur. Non, ce sont plutôt des travailleurs ambitieux qui veulent booster leur début de carrière en faisant jouer la concurrence, conscients qu’ils ont un atout en main, celui de la pénurie de main-d’oeuvre.
- L’arroseur arrosé. Ceux qui font du ghosting agissent de la sorte pour une raison principale : ils entendent rendre la monnaie de leur pièce à tous ces employeurs qui, des décennies durant, ont mal traité les candidats à l’embauche. Ceux qui, par exemple, ne prévenaient même pas les candidats que leur candidature avait été rejetée, les laissant se morfondre ainsi dans un «trou noir» professionnel.
- Trop long. Autre raison souvent évoquée : le processus d’embauche était trop long. D’ailleurs, quel employé des ressources humaines ne s’est jamais fait dire par un gestionnaire: «Je prends une semaine de congé, tu me gardes les meilleurs candidats sous le coude, je choisirai à mon retour» ?
- Voyants rouges. Enfin, les candidats ont maintenant tous le réflexe de mieux se renseigner sur leur futur employeur avant d’aller à l’entrevue finale, ce qui leur permet de découvrir des voyants rouges susceptibles de réfréner leurs ardeurs. Une autre étude d’Indeed indique ainsi que 57 % des candidats se fient à présent au bouche-à-oreille dans le choix d’un prochain employeur, et qu’il suffit d’un rien – un commentaire négatif sur Glassdoor, etc. – pour les inciter à regarder ailleurs. «Les employeurs n’ont d’autre choix que de changer d’attitude, dit Paul Wolfe, premier vice-président, Ressources humaines chez Indeed, dans une analyse. Il leur faut au plus vite apprendre à nouer des liens durables avec leurs meilleurs candidats, ceux qui sont justement susceptibles de faire du ghosting, et ce, en montrant un intérêt réel pour chacun d’eux à l’aide notamment de questions franches comme « outre la rémunération, quels sont les facteurs déterminants de votre candidature pour ce poste ? » et autres « comment classez-vous cette occasion parmi les autres possibilités que vous envisagez en ce moment ? »»
La clé semble donc de jouer la transparence ou, à tout le moins, l’ouverture d’esprit. De fait, une récente étude du cabinet-conseil en ressources humaines Robert Half montre que un Canadien sur trois a déjà dit «non» à un employeur parce que celui-ci avait refusé de négocier le contrat au moment de l’embauche. Plus précisément, parce que celui-ci n’avait pas voulu discuter d’autre chose que du salaire : aucune ouverture concernant, par exemple, les avantages sociaux, la flexibilité des horaires ou la possibilité de suivre des programmes de formation.
Bref, chers employeurs, donnez une grande bouffée d’air frais à vos organisations, et vous ferez s’évaporer, d’un coup d’un seul, tous les fantômes qui vous hantent et vous donnent des cheveux gris. C’est garanti !
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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