Le gouvernement Legault rattrapé par ses cadeaux électoralistes
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑septembre 2023François Legault soutient que son gouvernement n’a plus de marge de manœuvre, ce qui est pas mal vrai. (Photo: Getty Images)
CHRONIQUE. Les chèques, les crédits d’impôt, l’indexation des tables d’impôt, le plafonnement de certains tarifs et les baisses des taux d’imposition accordés par le gouvernement Legault avant les élections d’octobre 2022 et dans son budget de mars 2023 le rattrapent.
« Il n’y a pas de marge de manœuvre à Québec », a répondu récemment François Legault aux maires et aux mairesses qui lui demandaient plus d’argent pour faire face aux nouvelles responsabilités qui tombent dans leur cour. Les municipalités doivent maintenant gérer des effets des changements climatiques, affronter la crise du logement et faire face à l’explosion de l’itinérance. Gérez mieux vos affaires, leur a répondu en substance la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest.
Cela augure mal pour la renégociation du pacte financier du gouvernement avec les municipalités, en vertu duquel les deux parties se partagent l’assiette fiscale qui sert à financer leurs besoins respectifs. Le pacte actuel se termine à la fin de 2024.
Québec garde pour lui l’impôt sur le revenu des particuliers et sur les profits des entreprises de même que la TVQ. Environ 43 % de ses revenus viennent d’autres sources, dont 30 milliards de dollars (G$) de transferts fédéraux. Les municipalités ont l’exclusivité de l’impôt foncier, qui représente en gros 50 % de leurs revenus. Elles reçoivent des transferts gouvernementaux (23 %), prélèvent des tarifs (7 %), vendent des services (8 %), perçoivent divers revenus (taxes de bienvenue, permis, amendes, stationnement, etc. pour 11 %) et reçoivent des compensations tenant lieu de taxes sur les immeubles gouvernementaux (3 %).
Dans la mesure où les responsabilités des deux ordres de gouvernement restaient les mêmes dans le temps, ce partage tiendrait la route. Mais puisque les obligations des municipalités grandissent avec les changements climatiques (gestion des inondations, par exemple), l’augmentation de l’immigration (réfugiés), le développement du transport collectif, les besoins accrus de logements sociaux et l’explosion de l’itinérance, il apparaît clairement que le pacte fiscal doit évoluer avec les besoins accrus des municipalités.
Marge de manœuvre gaspillée
François Legault soutient que son gouvernement n’a plus de marge de manœuvre, ce qui est pas mal vrai. En réalité, il en a utilisé une bonne partie pour acheter des votes. En additionnant les 13,2 G$ du bouclier fiscal annoncé en 2022 et la baisse d’impôt des particuliers de 9,2 G$ confirmée dans le budget de mars dernier, ce sont 22,4 G$ qui seront retournés aux citoyens entre 2022-2023 et 2027-2028. C’est assez gigantesque.
Vrai aussi que les Québécois sont les citoyens les plus taxés d’Amérique du Nord, mais il faut aussi regarder l’autre côté du bilan : aucune province et aucun État américain n’offre un paquet de services publics comparables aux nôtres. Pensons seulement au tarif insignifiant de nos services de garde et aux droits de scolarité minimalistes de nos universités. Le modèle québécois, dont nous sommes fiers, a fait du Québec une société beaucoup moins inégalitaire et moins vulnérable à plusieurs égards sur le plan social. Ce sont des acquis qu’il faut protéger.
Nous avons actuellement des besoins qui sont criants (explosion de l’itinérance, pénurie de logements social et abordable, manque important de personnel en santé et en éducation, délabrement des infrastructures municipales, sous-développement du transport collectif, croissance des gaz à effet de serre). Ce sont ces défis cruciaux que l’État ne peut négliger faute d’avoir perdu la marge de manœuvre que lui avait laissée le gouvernement précédent.
Il est heureux toutefois qu’Eric Girard, le ministre des Finances, ait évoqué que sa prochaine mise à jour économique devrait comprendre des « mesures ciblées » dans trois domaines : l’itinérance, le logement et l’adaptation aux changements climatiques, ce qui rejoint les demandes des municipalités. Eric Girard s’est même avancé sur l’écofiscalité : « On pourrait, par exemple, a-t-il dit, augmenter les subventions sur les petites voitures et taxer les plus grosses », ce qui semble une hérésie pour son patron.
François Legault a-t-il voulu, par son « non », réduire simplement les attentes des maires et des mairesses, ou a-t-il voulu aussi freiner l’enthousiasme de son ministre des Finances et, peut-être aussi, celui de son ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, qui prévoit une réduction du parc automobile de 50 % d’ici 2050, un objectif utopique sans mesures fiscales costaudes ?
Qu’Eric Girard, qui est connu pour son conservatisme, ait parlé d’écofiscalité est éminemment significatif. Ou bien l’idée de mesures plus radicales pour lutter contre les GES fait son chemin au sein de la CAQ, ou bien Eric Girard veut forcer la main de son patron. Dans un cas comme dans l’autre, il semble y avoir une lueur d’espoir que des gestes plus contraignants puissent être posés sur le plan des changements climatiques.
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J’aime
L’écosystème de la production de batteries pour les véhicules électriques prend forme au pays et le Québec y participe véritablement. Les américaines General Motors et Ford, la suédoise Volta, l’allemande BASF et les sud-coréennes Posco, EcoPro BM et SK On ont annoncé des investissements importants, qui permettront au Québec de bénéficier de la reconfiguration de l’industrie automobile en Amérique du Nord. On prévoyait, avant de mettre sous presse, que la britannique Northvolt investisse environ 7 G$ pour fabriquer des cellules de batteries. Pour sa part, l’Ontario accueillera des investissements majeurs de Volkswagen et de Stellantis. Bravo aux visionnaires qui travaillent à cette révolution industrielle.
Je n’aime pas
Malgré les belles promesses, des centaines d’étudiantes et d’étudiants en enseignement et en sciences infirmières ne seront pas rémunérées à nouveau cette année pour leur stage en milieu de travail. Rien pour encourager cette relève à entreprendre ces formations, qui semblent moins importantes que les métiers de la construction pour le gouvernement Legault, qui promet maintenant de rémunérer les élèves de cette industrie. L’an dernier, un psychodrame social avait convaincu Québec d’accorder des bourses de 25 000 $ aux personnes étudiantes en psychologie qui accepteront de se joindre au secteur public. Quand va-t-on penser aux stagiaires en éducation et en sciences infirmières ?