Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
  • Accueil
  • |
  • Le grand tabou de la santé des entrepreneurs
Nicolas Duvernois

Chronique d'un entrepreneur

Nicolas Duvernois

Expert(e) invité(e)

Le grand tabou de la santé des entrepreneurs

Nicolas Duvernois|Publié le 28 mai 2019

Le grand tabou de la santé des entrepreneurs

Illustration d'un coeur normal (à gauche) et d'un coeur souffrant d'une myocardite. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Depuis quelques années, j’ai le privilège d’écrire une chronique hebdomadaire portant sur tout ce qui touche à l’entrepreneuriat. J’essaie, chaque semaine, de vous amener dans les coulisses du monde des affaires afin de vous montrer un côté, pour certains d’entre vous, moins connu. 

Je m’inspire fortement de mon quotidien et de toutes les péripéties qui viennent avec. Je n’ai pas peur de m’ouvrir à vous afin de vous faire vivre les hauts et les bas de la vie d’entrepreneur. 

Cette semaine, j’ai décidé de vous partager une réalité qui, malheureusement, est tabou dans le monde des affaires: la santé des entrepreneurs. J’ai déjà effleuré le sujet il y a quelques mois, mais cette fois-ci, je l’ai vécu.

Je me souviendrai toute ma vie du lundi 20 mai 2019. Je me suis réveillé à 6h du matin avec un mal atroce au haut du dos. Je croyais que c’était musculaire ou que ça pouvait être lié à un rendez-vous chez l’ostéopathe survenu quelques jours auparavant.

Pour ne réveiller personne, j’ai décidé de descendre dans mon salon et de m’asseoir pour voir si le mal allait passer. Plus les minutes passaient, plus le mal s’intensifiait. Je suis remonté réveiller ma femme Karolyne pour lui dire que je ne savais pas trop quoi faire, que c’était si intense que ça me donnait le goût de vomir. 

Entre-temps, l’une de mes filles s’était réveillée et nous sommes descendus afin de commencer notre journée. Soudainement, j’ai dû me rasseoir. Le mal que j’avais dans le dos s’était dirigé vers la poitrine. Ne sachant quoi faire, j’ai appelé mes parents, puis mon cousin Philippe qui est chirurgien cardiaque.

En quelques minutes à peine, la situation s’est rapidement dégradée. Pas le choix, il fallait appeler l’ambulance. On a tous vu la publicité. Mal à la poitrine, bras engourdis, mal de tête, sueur… J’étais certain de faire une crise cardiaque devant ma femme, ma fille et mon père qui venait tout juste d’arriver. Je ne savais pas quoi faire, j’espérais juste de ne pas m’effondrer, ou pire, de mourir devant ma fille.

Les minutes d’attente pour l’ambulance furent les plus longues de ma vie. Chaque seconde, chaque fraction de seconde semblait être une éternité. Le mal ne faisait qu’augmenter et le temps pressait.

D’urgence, j’ai été dirigé à l’institut de Cardiologie de Montréal. À peine arrivé, on m’envoyait faire une coronarographie afin de voir l’état de mes artères coronaires.

Premier soulagement, rien à signaler, mon cœur semblait être en bon état, aucune artère bouchée, «lisse comme une allée de quilles» comme m’a dit le chirurgien.

Ne voulant prendre aucun risque et surtout trouver les raisons de ce malaise, j’ai passé les jours suivant une batterie d’examens (échographie cardiaque, scan, IRM) et des tests sanguins. Pendant ces interminables heures, l’ombre de l’infarctus planait au-dessus de ma tête. 

Ça ne se pouvait pas qu’à 38 ans, sans aucun historique cardiaque dans ma famille, sans jamais avoir été à l’hôpital de ma vie, mon cœur me fasse ça… Dans le lit 2 de la chambre 526 de l’unité coronarienne de l’institut de Cardiologie de Montréal, je faisais face à l’inconnu.

Quelques jours plus tard, le diagnostic tombait. J’avais subi une myocardite, qui est une inflammation du muscle cardiaque causée, la plupart du temps, par une infection virale. Je n’ai jamais été aussi soulagé de ma vie, mon cœur était en pleine santé, mais avait été attaqué par un virus. 

Bien que je ne fus hospitalisé «que» quelques jours, ce «wake up call» de la vie m’a fait réfléchir sur la santé dans le monde des affaires. 

Malheureusement, être fatigué, devoir prendre une pause, vouloir se reposer sans téléphone, sans courriel, sans penser au bureau est souvent perçu comme un signe de faiblesse. Ironiquement, croyez-moi, c’est tout le contraire.

Que préférez-vous, un dirigeant bien reposé et sain d’esprit disposé à prendre de bonnes décisions éclairées ou un dirigeant au bord de l’épuisement qui risque, par fatigue ou inadvertance, de prendre la mauvaise décision? Poser la question, c’est y répondre.

Même si la cause de mon malaise était virale, je suis convaincu que mon rythme de vie en a été la cause. J’adore ce que je fais au quotidien, mais il est temps pour moi de travailler plus intelligemment.

Depuis une dizaine d’années, j’ai tout donné, tout sacrifié, tout risqué afin d’avoir une chance de réussir. Je réalise aujourd’hui que j’aurais pu atteindre le même objectif en travaillant différemment.

Ce qui fait en sorte qu’un produit se vende ou qu’une entreprise réussisse n’est pas le nombre d’heures que l’on passe au bureau, les fêtes d’anniversaire que l’on manque ou les vacances que l’on ne prend pas. Ce qui fait qu’une entreprise arrive à connaître du succès, c’est notre état d’esprit innovateur, le sentiment d’accomplissement, notre liberté d’avoir des idées folles et la qualité de l’équipe qui nous entoure. 

On essaie tous d’être des superhéros et de s’imposer des conditions de travail inhumaines afin de prouver aux autres qu’on a ce qu’il faut pour réussir. Faites le contraire. Prenez soin de vous et vous verrez que le succès vous remerciera. 

Attention, je ne dis pas qu’il faille se la couler douce et croire que le succès viendra facilement. Ce que je dis, c’est qu’il est impossible de courir à toute vitesse pour atteindre ses objectifs. La voie vers le succès est un marathon, pas un sprint.

Depuis une semaine, je reçois énormément de messages d’entrepreneurs me disant à quel point ils sont fatigués, stressés et débordés. Beaucoup d’entre eux m’ont dit en toute confidentialité qu’ils avaient eu, eux aussi, des problèmes de santé et qu’ils préféraient ne pas en parler afin de ne pas «avoir l’air faibles».

N’ayez pas honte. Prendre quelques jours de congé afin de revenir frais et dispo est ce que fait tout athlète de haut niveau. Parfois, partir un peu plus tôt pour se reposer n’est pas un signe de faiblesse. Cela montre plutôt une bonne connaissance de soi et se veut une preuve que l’on gère parfaitement la situation. Lever la main pour dire qu’on a besoin d’aide est une grande preuve de maturité, d’intégrité et d’intelligence. Des qualités que l’on recherche chez un bon entrepreneur. 

Avez-vous déjà vu une Formule 1 qui essaie de faire un dernier tour de piste sans carburant? Elle ne fait que quelques mètres avant de s’arrêter et de prendre en feu. S’il vous plaît, ne soyez pas cette Formule 1.