(Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. Les recruteurs d’aujourd’hui, à défaut de se transformer en Ethan Hunt, le héros de « Mission : Impossible », se sentent désorientés et en perdent leur latin. Recruter les meilleurs leaders exige de conjuguer une vision stratégique à long terme avec une infaillible exécution à court terme, tout en dirigeant les troupes au combat et en incarnant les valeurs du Dalaï-Lama… Est-ce réaliste ?
J’écrivais, il y a quelques mois, que « s’il y a une chose qui est certaine dans le climat actuel d’incertitude où nous évoluons, c’est que la prochaine décennie reposera sur une nouvelle façon de mobiliser et de développer l’implication des équipes ». Je me questionne aujourd’hui sur le niveau d’exigence accrue qu’on demande à nos leaders. Sommes-nous (moi y compris) trop ambitieux quant à nos attentes envers les dirigeants ? Si toutes ces qualités sont désirables et requises pour un leader, sont-elles pour autant humainement combinables dans un même individu ?
Il s’agit d’un beau casse-tête pour les recruteurs. On ne chasse pas le tigre du Bengale de la même façon qu’un chat domestique.
À force de tout vouloir en même temps, on va manquer l’objectif. Le leadership est relatif, et surtout, il est circonstanciel. Selon le cycle de vie de l’entreprise et le contexte, on fera appel à un leader dont les compétences et les qualités correspondent à ce qui est requis pour réussir. Ainsi, que l’entreprise soit en croissance, en redressement ou en transformation, on aura besoin soit d’un savant créatif, d’un général, d’un sage ou d’un politicien.
Sommes-nous en train de rêver à un « leadership impossible » ou manquons-nous d’imagination pour débusquer les meilleurs talents et développer les héros de demain ?
Le plus grand défi auquel les dirigeants sont confrontés est de gérer une entreprise performante aujourd’hui tout en la préparant pour l’avenir.
Sans succès et rentabilité à court terme, il y a peu de chance d’exister à long terme. On a beau dire que c’est le long terme qui importe, la vérité sort de la bouche des analystes et des marchés financiers, dont la patience est équivalente à celle d’un enfant de 2 ans. « Tantôt, tu auras un beau biscuit », dit maman, et l’enfant se met à hurler : « Noooon ! maintenant ! »
Je sais que plusieurs investisseurs institutionnels ont le capital patient. Fort heureusement, ils permettent de réguler la pression. En revanche, les dirigeants qui travaillent dans des entreprises cotées en Bourse sont pris avec le syndrome du court-termisme et ils sont coincés entre un leadership qui inspire au long terme et celui qui fouette pour stimuler des résultats à court terme, trop souvent éphémères.
Blair Sheppard, Paul Leinwand et Mahadeva Matt Mani, coauteurs de l’article «6 Leadership Paradoxes for the Post-Pandemic Era» du Harvard Business Review d’avril 2021, ont relevé les six paradoxes qui deviennent essentiels pour les dirigeants.
Bien qu’elles ne soient pas les seules contradictions auxquelles les patrons doivent faire face, ce sont assurément les plus urgentes (selon les auteurs) dans le contexte d’aujourd’hui, soit:
– Humaniste féru de technologie
– Localiste à l’esprit mondial
– Opérateur stratégique
– Humble héros
– Innovateur traditionnel
– Politicien de haute intégrité
En principe, ces paradoxes doivent être considérés comme un ensemble ; ils ont une incidence les uns sur les autres et doivent tous être équilibrés simultanément. Pour vraiment se différencier en tant que leader, il faut apprendre à vivre avec des comportements antinomiques… en toute harmonie.
C’est là où j’ai un petit malaise. Bien sûr, je suis en accord avec le principe. Mais en pratique… peut-on être à la fois innovateur tout en retenant sa fougue ? Être stratégique tout en étant un champion de l’implantation et de l’exécution ? Voir grand et loin au-delà des frontières tout en misant sur le marché local ?
Dans ma carrière, j’ai rencontré des leaders uniques et extraordinaires, des gestionnaires hors du commun. Ils sont peu nombreux, et surtout, ils excellent dans une situation donnée, un contexte qui requiert parfois un héros innovateur sachant manœuvrer habilement, ou un visionnaire qui sait faire preuve de sens du détail.
Le paradoxe, ce n’est pas tout avoir au même moment, dans la même séquence. C’est la capacité d’être polyvalent. C’est l’agilité du leader à naviguer d’un paradoxe à l’autre.
Amis recruteurs, ne vous montez pas la tête et misez plutôt sur la dextérité et l’adaptabilité des individus à composer avec les gens, les situations et les marchés.
Retenez que «votre mission, si vous l’acceptez, est de trouver celui ou celle qui traversera l’adversité et marquera l’histoire!»