Le marché baissier envoie des recrues dans les mains d’acquéreurs
Dominique Beauchamp|Publié le 24 novembre 2022«La récession anticipée est peu propice à la revalorisation des entreprises dépréciées en Bourse.» (Photo: 123RF)
BLOGUE. En quelques jours Bay Street a vu l’audacieux financier Stephen Smith offrir 1,7 milliard de dollars pour le prêteur hypothécaire Home Capital et les recrues dentalcorp et Converge Technology Solutions évaluer leurs options stratégiques après avoir reçu des avances de prétendants.
Bien que ces trois cas aient peu en commun, il est clair que le marché baissier brasse les cartes et incite les dirigeants à considérer des offres d’achat. La récession anticipée est en effet bien peu propice à la revalorisation des entreprises dépréciées en Bourse.
Il est aussi ironique que deux acquéreurs en série, tels que le revendeur de solutions en TI Converge Technology Solutions (CTS, 4,82$) et le consolidateur canadien de cliniques dentaires dentalcorp (DNTL, 8,51$), deviennent eux-mêmes des proies. Il faut dire que la conjoncture et la remontée rapide des taux fragilisent leur modèle d’affaires.
Leur mode de fonctionnement allait rondement lorsque le crédit était facile et que l’évaluation de leurs actions était plus élevée.
À leur zénith, ces deux sociétés étaient prisées pour leur croissance comme tant de recrues entrées en Bourse pendant la montée boursière. Leurs titres ont ensuite plongé de 60% et 54% par rapport à leur point culminant respectif.
Leur dégonflement en Bourse rappelle encore une fois douloureusement que les sociétés se lancent en Bourse lorsque le moment et les conditions leur sont favorables. Les investisseurs de la première heure par contre se font trop souvent prendre au piège des projets d’expansion que les recrues font miroiter.
Ce qui est surprenant, c’est la vitesse à laquelle ces entreprises entrent et quitteront potentiellement la Bourse. La remontée en flèche des taux d’intérêt a peut-être compressé ce processus.
KKR & Co. veille déjà sur deux regroupements de cliniques dentaires
Le principal acquéreur de cliniques dentaires au pays dentalcorp est entré en Bourse au cours de 14$ en mai 2021, dans un premier appel public à l’épargne de 700 millions de dollars.
Son titre a atteint un point culminant de 18,36$ en novembre 2021. Par la suite, l’action s’est enfoncée de 69% avant de rebondir récemment. L’entreprise ontarienne présente également une dette relativement élevée, de 4,3 fois le bénéfice d’exploitation.
Gary Ho de Desjardins Marché des capitaux avance que les dirigeants et l’actionnaire principal, le fonds privé américain L Carleton, pourraient fermer le capital de la société ou que sa rivale 123Dentiste fasse une offre avec l’appui financier de fonds d’investissement américains qui sont déjà des partenaires, dont KKR & Co. (NY, 52,08 $US).
Ce fonds privé américain KKR & Co.a financé en partie la fusion de 123Dentiste, d’Altima Dentaire et du Groupe Lapointe et il est devenu un actionnaire du nouveau groupe. Aux États-Unis, KKR & Co. possède aussi le principal regroupement de cliniques dentaires Heartland Dental, présent dans 38 États, depuis 2018.
Puisque les transactions dans l’industrie se réalisent dans une fourchette de 14 à 17 fois le bénéfice d’exploitation, dentalcorp pourrait attirer des offres de 14,27 à 18,39$, soit de 77% à 128% de plus que le cours actuel, ose imaginer l’analyste de Desjardins.
Converge a perdu son lustre dès que sa croissance a ralenti
Converge n’est pas dans la même situation, indique Nick d’Agostino de Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Ses flux de trésorerie sont solides tout comme ses perspectives fondamentales.
Converge a perdu des partisans parce que sa croissance se modère. La plus grande taille de ses plus récents achats requiert aussi des investissements dans le fonds de roulement en même temps que l’économie ralentit toute l’industrie des TI.
«La société n’a pas besoin de vendre. Un acquéreur devra offrir au moins 12 à 13 fois le bénéfice d’exploitation pour qu’une transaction ait lieu. Fiduciairement, la conseil doit considérer toutes les offres d’où le processus formel d’examen stratégique.»
La société a en effet été approchée par plusieurs entités, même de l’Europe, révèle Divya Goyal, de Banque Scotia, qui a eu l’occasion de parler au président du conseil d’administration et au chef de la direction financière de Converge.
«L’examen structuré des options stratégiques sera bénéfique à tous les actionnaires», dit-il, en mentionnant que l’action a déjà regagné 23%.
Au sommet de 12,29$ atteint en septembre 2021, le titre de Converge valait 13 à 14 fois son bénéfice d’exploitation, estime Nick d’Agostino. Actuellement, il se négocie plus près de six fois ce bénéfice. «Pour l’investisseur, ce n’est pas la plus-value offerte qui compte, mais bien d’obtenir une juste évaluation», renchérit-il.
Un fonds d’investissement privé ou un rival américain seraient des prétendants naturels, croit l’analyste de Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Le premier convoiterait les flux de trésorerie tandis que le deuxième pourrait vouloir stratégiquement prendre pied au Canada et en Europe et renforcer son offre de solutions de cybersécurité.
Chez Canaccord Genuity, Robert Young est aussi d’avis que plusieurs acquéreurs financiers et stratégiques potentiels s’intéressent à l’évaluation déprimée du titre et à son encaisse de 172 millions de dollars.
Et si la société n’obtenait pas d’offre suffisante (qu’il estime à 8 à 10 fois le bénéfice d’exploitation), elle pourrait envisager un rachat d’actions majeur ou encore essaimer en Bourse sa filiale de cybersécurité Portage afin de rehausser sa valeur.
Toutes ces possibilités l’incitent à recommander l’achat du titre pour lequel il fixe sa cible à 10,50$.
Divya Goyal de Banque Scotia croit pour sa part qu’une évaluation d’au moins 10 fois le bénéfice d’exploitation serait un juste prix à considérer. Il n’exclut pas la possibilité que la société ferme son capital.
À la Financière Banque Nationale, John Shao estime que le titre est de 30 à 40% moins cher que sa valeur intrinsèque, mais il prévient qu’une offre satisfaisante n’est pas assurée.
La conjoncture est propice à d’autres transactions
D’autres sociétés battues en Bourse pourraient connaître le même sort que dentalcorp et Converge en particulier si la détérioration économique affaiblissait les cours davantage. Les fonds d’investissement privés opportunistes et même les caisses de retraite sont toujours à l’affût d’occasions pour ajouter à leurs placements.
À la mi-novembre, Frédéric Bastien, de Raymond James, jugeait que la forte dépréciation du spécialiste des produits à base de terres rares Neo Performance Materials (NEO, 9,68$) rendait la société vulnérable à une offre d’achat. L’action s’est appréciée de 11% depuis.
En novembre 2021, le regroupement ontarien de fournisseurs mondiaux de logiciels spécialisés Enghouse Systems (ENGH, 29,90$) avait entamé un examen stratégique qui n’a pas eu de suite jusqu’à maintenant. Le titre a perdu 60% de sa valeur depuis son sommet de juillet 2020.