Photo: Jacob Vizek pour Unsplash.com
EXPERT INVITÉ. Depuis toujours, les milliardaires suscitent à la fois fascination et l’indignation! Pour ma part, je dois l’avouer, j’ai énormément de difficulté à voir le moindre bienfait dans une possession aussi massive de la richesse. Je pense que lorsque quelques individus sélectionnés accumulent une richesse inimaginable, qui s’accroît chaque année, la question doit se poser: les milliardaires sont-ils nécessaires, voire utiles, au progrès technologique et à l’innovation ?
Plusieurs personnes semblent valoriser que des milliardaires comme Elon Musk, Jeff Bezos, Bill Gates et les autres propulsent le progrès grâce à leurs vastes ressources. La réalité est que oui, SpaceX, Amazon, Microsoft, Apple et Facebook ont sans aucun doute changé notre monde. Mais si l’on creuse plus profondément que les discours de relations publiques et les publications des médias sociaux, la véritable image apparaît: notre société et notre planète semblent de plus en plus reposer sur les décisions d’une élite technologique dont l’intérêt principal semble être l’accroissement de son propre pouvoir.
Ne vous méprenez pas, je ne trouve pas surprenant ni anormal que les milliardaires cherchent à accroître leur pouvoir. C’est même attendu et logique. Ce qui m’inquiète, c’est l’impact de cette quête de pouvoir sur le reste de la société.
Les plus grandes innovations ne sont pas le fruit de grandes fortunes!
Avant tout, il est important de reconnaître que les plus grandes inventions et innovations de l’histoire n’ont pas nécessité le soutien de milliardaires ni l’accumulation de richesses individuelles. Le téléphone, la radio, l’ordinateur, Internet, les vaccins, les antibiotiques et d’innombrables autres technologies révolutionnaires n’ont pas été pilotés par des milliardaires ou des individus fortunés. Beaucoup sont nés de la recherche publique, de projets gouvernementaux et militaires ou des efforts collectifs de scientifiques, d’ingénieurs et de grands penseurs.
La majorité des innovations les plus modernes, qu’on pense à la modification génétique, le traitement du cancer par l’immunothérapie ou encore les batteries au lithium-ion, furent développés par des laboratoires universitaires ou gouvernementaux, et non par des entreprises technologies de renom de la Silicon Valley. En fait, l’Internet fut créé par une agence gouvernementale.
De plus, nous ne pouvons pas continuer à transférer notre attention et nos richesses vers les milliardaires en espérant aveuglément qu’ils choisiront de concentrer leur attention et leurs ressources sur les problèmes réels du monde. C’est comme offrir de la crème glacée et un iPad à une pièce remplie d’enfants en espérant qu’ils choisiront de faire le ménage.
Assistons-nous à un monopole de l’innovation?
L’innovation est – et devrait être – un effort collectif progressif plutôt que le résultat des idées d’un génie solitaire. Par exemple, pour progresser en intelligence artificielle et en apprentissage automatique il faut d’énormes quantités de données de la capacité de calcul et le travail concerté de milliers d’ingénieurs avec l’appui d’éthiciens et d’humanistes. C’était l’esprit original derrière OpenAI bien que cela semble évoluer et pas dans le bon sens. C’est aussi le cas du séquençage du génome qui s’appuie sur une collaboration scientifique internationale et le partage de connaissances. De même, les logiciels à code source ouvert comme Linux ont révolutionné la technologie grâce aux contributions de développeurs du monde entier. Bien que les milliardaires puissent apporter leur soutien à ces efforts, ils ne sont pas essentiels à ces processus. Ils sont tout à fait remplaçables en fin de compte.
En fait, plutôt que de favoriser l’innovation, la concentration extrême des richesses semble plutôt entraver le progrès technologique de manière importante. Grâce à leurs vastes ressources et à leur domination du marché, les milliardaires de la tech peuvent étouffer la concurrence, contrôler l’accès, donner la priorité aux profits individuels et empêcher d’autres entreprises innovantes de se développer ou d’atteindre une grande échelle. Il ne suffit qu’à penser à la start-up de Berlin qui s’est fait voler sa technologie par Google dans les années 90.
Par conséquent, il est aussi de plus en plus difficile de lancer des innovations considérant que quelques géants contrôlent presque toutes les données, plateformes, capitaux et leviers les plus précieux. Nous aurions tous à gagner d’un écosystème plus ouvert et décentralisé qui permet aux idées de prospérer sur la base du mérite et non du pouvoir monopolistique.
Est-ce que je rêve en couleur: très probablement. La vérité est que nous en sommes à un moment où les six géants de la technologie détiennent une valorisation globale de plus de 11 billons de dollars – près de trois fois celle de l’ensemble des 1300 licornes valant plus d’un milliard de dollars. Par conséquent, il est presque utopique de penser qu’il sera possible de renverser la vapeur. Je crois cependant qu’il est important d’avoir une réflexion réelle sur la concentration de la richesse et de comment celle-ci affectera l’innovation à moyen terme.
De plus, si critiquer la classe des milliardaires peut vous donner l’impression que je suis jaloux, je l’accepte. Mais à une époque de déclin climatique, d’autoritarisme, de conflits, de crise du logement et d’inégalités flagrantes, nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à croire à tort que les milliardaires détiennent la clé exclusive de l’avenir de l’humanité.