Optimisme et cynisme accompagnent tout développement technologique qui possède tant la capacité d’aider que de nuire. (Photo: 123RF)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
(Illustration: Camille Charbonneau)
Les technologies popularisées par le bitcoin ont le pouvoir de modeler l’avenir d’Internet. Cette prophétie, Chris Dixon la développe dans son dernier ouvrage «Read Write Own». L’entrepreneur web américain y livre «une vision convaincante de la direction que devrait prendre Internet et de la manière d’y parvenir», selon un certain Sam Altman.
Un réseau décentralisé, démocratique, innovant. La noble promesse originelle d’Internet s’est avilie en quelques décennies dans les services omniprésents des géants du web. Mais tout espoir ne serait pas perdu à en croire le vétéran de l’industrie du logiciel Chris Dixon. Une planche de salut technologique existerait d’ailleurs : la chaîne de blocs. Cette dernière servirait d’ailleurs de fondement à la nouvelle dimension, le web3, l’ère du «lire-écrire-détenir» qui accorde des privilèges aux communautés d’utilisateurs plutôt qu’à une poignée d’entreprises monopolistiques.
Pour ce faire, soutient l’auteur de «Read Write Own» (aux éditions Random House), les technologies actualisées au travers de Bitcoin devront surmonter une «fracture culturelle», deux forces opposées ralentissant les progrès. La culture informatique contre le culte de la spéculation, «ordinateur vs casino», comme l’illustre Chris Dixon.
Les nouvelles technologies écopent toujours de leurs lots de controverses et les chaînes de blocs n’y échappent évidemment pas depuis ces 15 dernières années où une cryptomonnaie inventée par une figure mystérieuse est venue taquiner le système financier.
Arnaqueurs et spéculateurs ne sont que figurants
«De nombreuses personnes associent les chaînes de blocs aux escroqueries et aux schémas d’investissement visant à devenir riche rapidement. Il y a une part de vérité dans ces affirmations, tout comme il y avait du vrai dans des affirmations similaires sur les manies financières du passé liées à la technologie — du boom ferroviaire des années 1830 à la bulle des .com à la fin des années 1990», recontextualise l’auteur.
Il y avait et il y a toujours des spéculateurs dans l’écosystème dit de la crypto. C’est «le casino» décrié par Dixon, ce temple des paris, brillant et bruyant, a attiré les foules. Le culte de la spéculation a conduit à de nombreux accidents industriels, connus mondialement tels que l’échange FTX ou nationalement tel QuadrigaCX.
«Le débat public s’est principalement concentré sur les introductions en bourse et les cours des actions, mais il y avait aussi des entrepreneurs et des technologues qui ont regardé au-delà des hauts et des bas, ont retroussé leurs manches et ont créé des produits et des services qui ont finalement répondu à l’engouement», nuance l’entrepreneur tech et investisseur web3.
Car, oui, il y avait et il y a aussi des «bâtisseurs».
C’est le camp de «l’ordinateur», celui présumément le plus sérieux des deux et motivé par une vision à long terme. Ces techniciens, à l’image d’un Satoshi Nakamoto qui s’est rompu à l’ingénierie financière pour parfaire son protocole, ont conscience des aspects financiers des blockchains. Mais ces aspects économiques ne seraient qu’un moyen d’atteindre une fin : «construire de meilleurs réseaux, et donc un meilleur Internet». Ces profils s’avèrent souvent moins vendeurs, pour les médias, pour le grand public. Ce sont — pourtant ces personnes qui porteront les impacts les plus durables.
Le pouvoir du logiciel plus fort que le pouvoir de l’argent
Pas d’angélisme mal placé, il n’y a guère que de vertueux acteurs d’un monde meilleur. Le camp de l’ordinateur et ses culturistes de l’informatique sont aussi intéressés à gagner de l’argent. L’auteur-évangélisateur, Chris Dixon, occupe le poste d’associé général chez Andreessen Horowitz (a16z), la firme de capital-risque qui a notamment investi dans Coinbase.
«La majeure partie de l’industrie technologique est axée sur le profit», reconnaît-il. «La différence est qu’il faut du temps pour qu’une véritable innovation génère des rendements financiers. C’est pourquoi la plupart des fonds de capital-risque (y compris le nôtre) sont structurés avec des périodes de détention volontairement longues. La production de nouvelles technologies de valeur peut prendre jusqu’à une décennie, et parfois plus. La culture informatique s’inscrit dans le long terme. La culture du casino, pas.»
Optimisme et cynisme accompagnent tout développement technologique qui possède tant la capacité d’aider que de nuire. Les chaînes de blocs, les cryptos et autres n’en diffèrent pas. Toute la question est de savoir comment maximiser le bien tout en minimisant le mal. Qui construit ce nouvel Internet, le possède et l’utilise ? Quelle innovation ? Quelle place réelle pour les utilisateurs finaux ?
«Le mouvement a l’opportunité de changer le cours de l’histoire, de refaire la relation de l’humanité au numérique, de réimaginer ce qui est possible. Tout le monde peut participer, que vous soyez développeur, créateur, entrepreneur ou utilisateur. C’est une opportunité de créer l’Internet que nous voulons, et non l’Internet dont nous avons hérité», assure Chris Dixon. «Les blockchains et les réseaux qu’elles permettent libèrent l’extraordinaire pouvoir du logiciel.»