«Le réchauffement climatique est une chance pour le monde»
Diane Bérard|Mis à jour le 11 juillet 2024Ségolène Royal, ex-ministre de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, de la France, participe à la Conférence de Montréal. Elle est aujourd'hui ambassadrice des pôles arctique et antarctique. (Photo: Getty images)
L’ex-ministre de l’Environnement de la France, Ségolène Royal, était de passage à la conférence de Montréal. Je l’ai rencontrée pour parler de transition écologique et de transition humaine.
En tant qu’ambassadrice des pôles arctique et antarctique, quel est votre mandat?
Je m’occupe des négociations internationales portant sur ces régions. Par exemple, je siège au nom de la France comme pays observateur au Conseil de l’arctique. J’interviens, par exemple, sur les règles de développement durable. J’ai dit qu’il fallait interdire le fuel lourd en Arctique, tant pour le transport que pour la propulsion des bateaux. J’ai dit également qu’il fallait réglementer le tourisme de masse en arctique et en antarctique.
Quelle est l’étendue de vos pouvoirs?
C’est un pouvoir d’influence. Je m’appuie sur la science. La recherche française est très respectée – 400 chercheurs se penchent sur la question arctique, sans compter nos grands explorateurs.
Le changement climatique, on le stoppe ou on s’y adapte?
Les deux. L’efficacité de notre adaptation au réchauffement climatique dépend de notre capacité à le diminuer.
Vous affirmez «Le réchauffement climatique est une chance pour le monde», pourquoi?
Avoir un défi commun à relever est une chance. À Paris, lors de la Cop21, on a vu des pays qui se faisaient la guerre, qui s’exploitaient, qui multipliaient les litiges commerciaux se mettre enfin d’accord sur un objectif commun. Ensemble, nous avons reconnu que les activités humaines sont responsables du réchauffement climatique. Et nous avons signé un engagement pour y mettre fin et passer sous la barre des deux degrés d’ici la fin du siècle. Voilà un projet collectif qui remet enfin l’humanité en avant. Aucun enjeu n’a été aussi rassembleur pour la planète.
Chaque pays a sa façon de nommer son ministère de l’environnement. Quel nom devrait-on employer pour bien marquer sa mission et son objet?
Pourquoi pas le «Ministère de l’Avenir de la Planète»?
Que dites-vous de «Ministère de la Transition énergétique»?
C’est pas mal. La transition énergétique est l’outil de protection de la planète. Or, un ministère doit travailler sur du concret. La transition énergétique c’est concret, vous prenez des décisions, vous posez des gestes qui permettent de passer des énergies polluantes aux énergies propres.
À l’époque, vous avez nommé le vôtre, «Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer», pourquoi?
La mer a longtemps été oubliée des négociations climatiques. Je l’ai fait inscrire à la Cop21. C’était oublié parce qu’il n’y a pas de chef d’État de la mer ni d’habitants. Ça ne comptait pas puisque la Cop est une réunion de chefs d’États. Or, la mer occupe 71% de la planète. Et c’est par elle qu’on observe les premiers dégâts du dérèglement climatique: fonte des glaces et hausse du niveau de l’eau. La mer ronge la terre. Elle submerge les petites îles. Elle crée l’érosion des côtes. Depuis que j’ai évoqué l’importance de la mer, j’observe qu’elle est plus présente dans les prises de paroles. La mer est enfin devenue un acteur à part entière du dérèglement climatique.
Qu’est-ce que la Banque européenne du climat annoncée par Macron?
C’est une banque financera la croissance verte en Europe. La France, qui avait la responsabilité de la Cop21, fut la première à lancer des obligations vertes. Cette fois, Macron prend le leadership pour proposer une banque de la transition écologique pour toute l’Europe. Cette banque serait à la fois financée par de l’argent public et de l’argent privé. Elle pourrait créer des partenariats avec d’autres fonds.
Demeurons sur le sujet du financement. Comment convaincre le marché, qui tire avantage du réchauffement climatique, puisque celui-ci est l’effet secondaire de sa vigueur, de trouver un intérêt à le stopper?
Il faut une sanction du consommateur. Mais ce dernier ne sanctionnera que s’il est informé. Si le consommateur n’avait pas connu les effets nocifs des pesticides, il n’aurait pas réclamé une agriculture bio. Celle-ci n’aurait pas été rentable et les agriculteurs ne se seraient pas convertis. Les lobbys ont longtemps dissimulé cette information. Mais il n’y a pas que la demande. Il faut aussi taxer les produits sales, pour que les produits propres deviennent plus abordables.
Le Canada aura des élections à l’automne. Le marché du carbone est une avenue très impopulaire. Que feriez-vous si vous étiez ministre de l’Environnement du Canada?
Je tiendrais bon, je ferais la transition énergétique. Je mettrais un prix sur les produits du carbone. Mais avant de taxer les produits polluants, il faut s’assurer que les consommateurs aient une offre adéquate de produits non polluants. Si on taxe sans offrir de possibilité de changer de comportement, les gens se révoltent.
Hier, encore, des milliers de citoyens sont descendus dans les rues de Calgary pour demander au gouvernement Trudeau d’éliminer les obstacles à la prospérité de l’industrie des hydrocarbures. Que répondriez-vous au lobby des pétrolières? Derrière la transition énergétique, il y a la transition humaine…
Je sais. Il faut faire la transition énergétique, mais il faut la faire avec l’industrie pétrolière. Regardez la taxe carbone en France, les gens ne l’ont pas acceptée. Moi non plus je n’étais pas pour cette taxe. Pas tant que les consommateurs n’ont pas les moyens de s’acheter une voiture propre. Personne ne veut polluer, mais il faut leur offrir une vraie alternative. Les industriels doivent planifier, avec les États, l’après-pétrole. Le défi consiste à trouver l’équilibre entre l’action drastique et la tergiversation.
Selon vous, qu’est-ce qui importe le plus pour les entreprises en matière de transition énergétique?
La visibilité et la stabilité. Le politique est là pour mettre en place les règles et les outils et de la mutation. Les entreprises veulent connaître la situation présente et les objectifs – comment nous baisserons la consommation de pétrole, comment nous augmenterons celle des énergies propres, les avantages financiers que le gouvernement accordera aux énergies propres.
Je sens une contradiction entre le discours sur l’urgence climatique et celui prônant la nécessité d’une vision à long terme. Avons nous, ou pas, le temps de développer une vision?
Pour moi, ces deux discours sont omplémentaires. Il y a urgence, certes. Mais si on souhaite que les gens agissent, cela exige une vision. Pour qu’on accepte des contraintes, il faut savoir où celles-ci mèneront. Si on vous dit, «Demain, vous ne chauffez plus qu’à 18 degrés au lieu de 21», il faut aussi vous expliquer qu’à terme la fin du réchauffement climatique permettra d’éviter certaines catastrophes et d’améliorer notre santé.
La vision à long terme c’est pour 10 ans, pas pour 30 ans.