(Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Difficile de dire du mal du produit qui a révolutionné le monde de la finance au cours des dernières décennies. Durant cette période, nous avons été témoins d’un exode progressif et important des actifs sous gestion des fonds communs traditionnels vers les fonds négociés en Bourse (FNB), notamment ceux qui répliquent les rendements des grands indices, comme le S&P/TSX au Canada et le S&P 500 aux États-Unis.
Vous seriez surpris d’apprendre qu’il existe chez nos voisins du Sud plus d’indices que de titres négociés sur les marchés. J’ai l’impression que l’évolution de cette approche a depuis longtemps dévié de l’idée originale derrière cette invention.
Ce profond changement dans la façon d’investir de milliers d’épargnants constitue toutefois, selon moi, un risque important pour la stabilité de nos marchés financiers. Historiquement, les causes des grandes exagérations boursières sont:
1.les avancées technologiques, comme le chemin de fer et Internet;
2.la hausse du revenu disponible des ménages;
3.les changements structurels dans le fonctionnement des marchés boursiers.
Examinons plus en détail ce troisième point.
Au début du 20e siècle, un investisseur sérieux et responsable ne détenait habituellement que des obligations dans son portefeuille. Les actions étant trop volatiles à cette époque, seuls les spéculateurs osaient en détenir. En 1924, un génial économiste et conseiller financier nommé Edgar Lawrence Smith a démontré, dans son incontournable livre Common Stock as Long Term Investment, que les actions, à long terme, augmentaient grandement le rendement d’un portefeuille. En raison de ce changement de paradigme, il y a eu un influx important de capitaux vers les marchés boursiers. Cela a causé une hausse excessive des valeurs et c’est à mon avis l’une des causes du célèbre krach de 1929.
En 1987, la science s’invite dans la gestion financière pour créer des stratégies d’assurance de portefeuille ayant comme objectif de limiter les pertes potentielles en utilisant des produits dérivés sur les grands indices.
Évidemment, tout ne se passe pas comme prévu et, le 19 octobre, «la chaîne débarque»et les grands indices boursiers perdent de 20 % à 30 % en une seule journée.
Il pourrait être judicieux ici de faire le lien entre ces innovations et l’arrivée massive des FNB. Tous les investisseurs ont maintenant accès à une multitude de FNB. Par sa nature passive, le FNB ne fait aucune analyse et investit toutes les liquidités disponibles dans le marché.
Les plus grands et plus connus des FNB sont construits en utilisant la capitalisation boursière comme barème de poids de ses composants. En d’autres mots, plus une entreprise est grande, plus grand sera son effet sur le rendement pour le détenteur de parts.
Autrement dit, le FNB fait exactement l’inverse de ce que l’on attendrait d’un gestionnaire chevronné:il achète ce qui a le plus monté. Évidemment, tout va bien tant que de nouvelles liquidités arrivent sur le marché.
Imaginez cependant le moment où les liquidités se tarissent. Le FNB vend alors ses plus grandes positions en plus grande quantité et l’effet est alors démesuré, faisant baisser davantage le marché, entraînant de nouvelles ventes, et ainsi de suite. La construction actuelle des plus grands fonds de ce type est très problématique.
Heureusement, il existe déjà des solutions simples et efficaces pour éviter ce risque systématique. Outre la gestion active que je préconise, il est également possible pour les investisseurs d’utiliser des FNB où toutes les positions ont le même poids. Dans son incontournable livre Successful Investing is a Process, le Montréalais Jacques Lussier, malheureusement décédé récemment, explique entre autres que le fait de rééquilibrer activement le portefeuille vers des positions équivalentes augmente le rendement espéré tout en diminuant le risque.
Ce n’est pas la première fois que je présente ce problème, mais l’importance actuelle des FNB basés sur la capitalisation boursière est un risque qui est mal compris des intervenants financiers. Espérons que l’on évite une répétition de 1929 ou de 1987, mais il faut quand même nous y préparer.