(Photo: 123RF)
Par Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’Institut économique de Montréal.
COURRIER DES LECTEURS. Ces derniers jours, Marc Bédard, président et fondateur de Lion Électrique, a multiplié les sorties afin de pousser nos gouvernements à adopter d’urgence un Buy Canadian Act, et à mettre fin à la règle du plus bas soumissionnaire pour les appels d’offres publics. Malgré le bilan impressionnant de Lion Électrique en matière d’innovation et la fierté que nous pouvons ressentir de compter des entrepreneurs aussi créatifs au Québec, ces sorties teintées de mercantilisme nous rappellent à quel point certaines entreprises se cacheront derrière des considérations de nationalisme économique et d’environnement pour favoriser l’enrichissement de leurs propres actionnaires.
Et les familles québécoises dans tout ça?
Personne ne sera surpris de constater que le gouvernement québécois actuel prône un interventionnisme accru de l’État dans l’économie, dans le but de favoriser l’achat local et de protéger les entreprises québécoises. Toutefois, il convient de se poser les deux questions suivantes : à quel prix voulons-nous protéger artificiellement des entreprises comme Lion Électrique et quelles sont les conséquences économiques réelles pour les familles québécoises?
Une des prémisses de M. Bédard pour justifier davantage de mesures protectionnistes est le maintien d’emplois de qualité au Québec. Rappelons-nous que le gouvernement du Québec, suivant cette logique, a instauré en avril dernier un programme de 250 millions de dollars visant à subventionner la production d’autobus électriques, tout en débloquant plus de 5 milliards de dollars dans les dernières semaines pour l’achat de 2148 bus électriques.
Deux conséquences directes émanent de ces programmes : l’iniquité créée pour les compétiteurs potentiels de Lion Électrique, et les coûts énormes placés sur les épaules des contribuables.
En effet, avec le programme de subventions, Lion Électrique devient le seul joueur au Québec pouvant présentement en bénéficier. Ce n’est pas faute de concurrents, mais bien parce que les autres entreprises, comme Autobus Thomas à Drummondville, qui emploient des centaines de travailleurs, ne produisent pas 100% de leurs bus au Québec, et sont ainsi exclues du programme.
Le gouvernement octroie donc un monopole artificiel à Lion Électrique, qui sera maintenant en mesure d’écraser tout compétiteur potentiel voulant entrer sur le marché. À bas la libre concurrence! De ce fait, certaines autres entreprises de ce marché perdront certainement des contrats, et devront procéder à des mises à pied. Ces travailleurs pourront alors se tourner vers un nouvel employeur potentiel : Lion Électrique. S’agit-il donc de création ou de déplacement d’emplois?
En plus de cette atteinte à la concurrence, qui est pourtant le moteur de l’innovation et un des facteurs expliquant notre niveau de vie relativement élevé au Québec, ce sont les familles québécoises qui se retrouvent avec la facture. Avec l’argent public, le gouvernement du Québec vient de dépenser plus de 1,1 million de dollars par autobus électrique acheté, sans compter les 2,6 milliards de dollars nécessaires pour adapter les garages des sociétés de transport. C’est très cher payé par emploi « maintenu » au Québec, surtout si l’on tient également compte de cette transition énergétique forcée et précipitée qui revient à diminuer les émissions de CO2 à un prix plusieurs fois supérieur à celui sur le marché du carbone.
Plutôt que de choisir constamment les gagnants et les perdants sur le marché, le gouvernement du Québec devrait établir un cadre réglementaire et fiscal favorable à tous les joueurs présents et potentiels sur le marché, tout en évaluant l’ensemble des options sur la table pour alléger le fardeau imposé aux Québécois et Québécoises dans le cadre des appels d’offres. Mettre fin à la règle du plus bas soumissionnaire serait dangereux pour nos finances publiques.
Il est tout à fait raisonnable de s’attendre à des efforts de lobbying de la part de M. Bédard, et pour cause. Toutefois, si les leaders du gouvernement québécois croient réellement aux bénéfices de l’électrification des transports et font confiance aux entrepreneurs, qu’ils laissent place à la concurrence et s’abstiennent de décerner prématurément la médaille d’or à Lion Électrique plutôt qu’à une autre entreprise. Après tout, le lion est traditionnellement le roi de la jungle, et non celui du zoo créé par l’humain.