«Le Saint-Laurent ne profite pas de la croissance mondiale»
François Normand|Édition de la mi‑septembre 2020Mario Girard dirige le port de Québec depuis 2011. Il a aussi été PDG de la Fondation de l’entrepreneurship, de 2008 à 2011. Entrepreneur, il est à l’origine de la création de deux entreprises dans le domaine des technologies de l’information, Nstein Technologies et Gespro Technologies. (Photo: courtoisie)
Q&R. Depuis 20 ans, le tonnage de l’ensemble des ports du fleuve Saint-Laurent stagne, alors qu’il explose dans le monde, notamment sur la côte est américaine. Le port de Québec veut corriger le tir avec Laurentia, son projet de terminal de conteneurs en eau profonde, dont la mise en service est prévue en 2024. Le PDG de l’Administration portuaire de Québec, Mario Girard, nous explique son ambitieux projet.
Les Affaires – Comment a germé cette idée de construire un terminal au coût de 775 millions de dollars (23 % de financement public et 77 % de financement privé, dont le CN), doté d’une capacité annuelle de 700 000 conteneurs ?
Mario Girard -Nous avions deux défis : moderniser nos infrastructures vieillissantes et trouver un nouveau modèle d’affaires afin de s’adapter aux changements dans le transport maritime. Les navires sont plus gros, les canaux de Panama et de Suez ont augmenté leur capacité, sans parler des investissements aux ports de New York et de Virginie pour accueillir de plus gros bateaux. Résultat ? Les ports de la côte est américaine ont accru leurs volumes de conteneurs de 51 % entre 2008 et 2019, alors que ceux du port de Montréal ont augmenté de 18 %. Le Québec ne profite donc pas du plein potentiel de l’essor du trafic maritime. Nous voulons corriger le tir grâce à notre port de conteneurs en eau profonde qui peut accueillir les [navires] Panamax et les post-Panamax.
L.A. – Que proposez-vous pour que le fleuve Saint-Laurent ait sa juste part du gâteau avec le projet Laurentia, dont les travaux doivent débuter en 2021 ?
M.G. – Nous voulons desservir le Midwest américain, en accaparant une partie du trafic maritime en provenance de l’Asie du Sud-Est à destination de la côte est américaine via le canal de Suez. Notre terminal sera à la fine pointe technologique et très productif. Si nous tenons compte des trois coûts de la chaîne logistique (maritime, portuaire, ferroviaire), le port de Québec est le chemin le plus rapide et économique pour acheminer par exemple des conteneurs de l’Asie du Sud-Est à Chicago en transitant par le port de Gênes, en Italie.
L.A. – Le port de Montréal a aussi un projet de terminal de conteneurs, à Contrecoeur, sur la rive sud de Montréal, qui serait également mis en service en 2024. Ne risquez-vous pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul ?
M.G. – Il ne faut pas opposer Québec et Montréal. Ce sont des projets complémentaires qui vont engendrer des retombées économiques dans l’ensemble de la province. Nous visons le Midwest américain, tandis que port de Montréal cible la région métropolitaine, le sud de l’Ontario et une partie du Midwest. Certes, notre projet pourrait faire baisser un peu le trafic à Montréal (moins de 10 %), car des entreprises en région passeront par Québec pour réduire leurs coûts de camionnage. Mais en fin de compte, elles seront plus compétitives sur les marchés mondiaux. Nous réduirons en plus les gaz à effet de serre, en évitant sept millions de kilomètres de transport routier par année.