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Le secret de la dépendance financière

Daniel Germain|Publié le 07 août 2019

Le secret de la dépendance financière

Danny est désemparé. Son conseiller vient de lui annoncer qu’il quittait son emploi pour un poste similaire dans une autre institution financière.

Le lecteur ne sait que faire: doit-il quitter sa banque pour suivre le planificateur ou y demeurer dans l’attente qu’on lui affecte une autre personne pour l’aider avec ses finances ?

Son message exprime un tel désarroi, on croirait un instant que le conseiller en question veille sur ses affaires depuis l’époque du comptoir de limonade, qu’il le connaît plus intimement qu’un frère jumeau, qu’il l’oriente avec bienveillance et professionnalisme sur le chemin de l’indépendance financière. 

Ce n’est pas tout à fait ça. «Je n’y connais rien à ce sujet et encore moins dans mes placements», écrit-il. Danny se dit ouvert à tout, pour peu qu’on l’extirpe du brouillard dans lequel l’a plongé le départ de son conseiller.

«Bref, si vous connaissez une entreprise qui pourrait m’aider ou si vous avez une suggestion pour placer mon argent, je suis ouvert à tous les conseils», conclut-il avant de laisser son numéro de téléphone.

Par le sujet de ses supplications, je devine que Danny n’est pas un régulier; je me demande s’il a déjà entendu parler de Les Affaires avant que Google ne l’amène par ici. Pour lui, je suis sans doute un total inconnu, mais il faut bien reconnaître que la tête qui surplombe chaque semaine cette chronique a de quoi inspirer confiance.

Je l’appelle.

Danny a 56 ans, il a été poussé à la retraite par des problèmes de santé. La relation avec son conseiller n’a même pas duré trois ans. Il a 178 000$ dans un FERR, 90 000$ dans un REER, 46 000$ dans un CELI et 5000$ dans un compte de placements non enregistré.

Il dit avoir travaillé quelques années pour la fonction publique, il a depuis encaissé la valeur de transfert de son régime de retraite, vraisemblablement le contenu actuel du FERR, à la suggestion de son conseiller.

Il affirme en avoir fait autant de ses cotisations au RRQ, une transaction impossible, ce que je lui fais remarquer. Je l’entends s’enquérir auprès de sa conjointe si c’est bien les fonds du RRQ qu’il a retirés d’un seul coup lorsqu’il est allé «signer des papiers au gouvernement». Elle est catégorique. Je crois qu’ils confondent avec le RREGOP, le régime de retraite des fonctionnaires mentionné plus haut.

Danny n’est pas idiot, seulement son intérêt pour les finances est au plus bas, si bas qu’il ne sait pas ce qu’il signe. Il n’est pas seul comme ça, les données sur le niveau de culture financière de la population sont peu reluisantes. Comme bien d’autres, notre lecteur n’a jamais montré le moindre soupçon de curiosité pour ces questions.

C’est comme moi et la mécanique. Cela évoque chez moi ce week-end passé avec des amis aux Régates de Valleyfield, il y a une quinzaine d’années. Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvé à discuter avec un vrai de vrai amateur, il s’adonnait lui-même aux courses d’hydroplane. Il m’a entrepris à propos d’une composante du moteur V6 à deux-temps.

J’étais aussi désarçonné que le serait Danny à qui on tenterait d’expliquer le rendement composé. J’opinais de la tête, «hun-hun, hun-hun», comme si je suivais la conversation. Heureusement, j’avais des lunettes fumées sans lesquelles mon regard bovin m’aurait probablement trahi, j’étais largué! Après s’être bien amusés de ce spectacle loufoque, mes amis, pris de pitié, sont venus m’en extraire.

Oui, donc, revenons à Danny. Notre lecteur repose sur un coussin de plus de 315 000$ et n’a aucune idée de sa composition. Le plus cocasse de cette affaire, c’est que le FRV, le REER, le CELI et le compte de placements sont autogérés dans une firme de courtage. Autrement dit, notre lecteur peut négocier des titres à sa guise, comme si on me confiait un coffre à outils avec un moteur à remonter.

Il est si désespéré, Danny, qu’il m’a envoyé les relevés de tous ses comptes. Je rappelle qu’il est probablement tombé sur une de mes chroniques au hasard d’une requête Google.

Il voit bien sur ses documents des «cours» et des «quantités», mais cela ne lui dit pas grand-chose, sinon qu’il erre dans l’univers opaque de la finance. Il ne fait pas de différence entre le «coût comptable» et la «valeur marchande» de ses placements, il n’a aucune idée dans quoi son argent est placé, combien lui rapportent ses investissements et ce qui lui en coûte.

On aurait pu anticiper le pire, mais son portefeuille n’est pas si mal, il est composé de fonds relativement bien cotés par Morningstar. Je ne suivrais pas pour autant le conseiller avec qui aucune relation particulière n’a été bâtie; il a manqué de surcroît à son devoir d’éducation, quoiqu’il reste toujours des clients imperméables à ce genre d’effort, je n’ai aucun mal à le concevoir.

Je comprends qu’on puisse ne pas avoir d’inclination pour la finance, c’est un univers en soi fort peu intéressant, du moins au goût d’une majorité de gens normaux, dans lequel nos instincts s’animent souvent de la pire manière. Qu’on le veuille ou non, la chose reste au centre de toutes nos transactions. Il faut faire avec.

Sans lui faire la morale, j’ai fait réaliser à Danny comme il s’est mis dans une position vulnérable en s’intéressant si peu à la finance en général et à ses affaires en particulier.

Cela en a fait une proie facile de l’angoisse, des profiteurs et des fraudeurs.

De la catastrophe. 

***

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