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Le secret du succès

L'économie en version corsée|Édition de la mi‑mai 2019

CHRONIQUE. Sont couronnés de succès ceux qui travaillent fort et longtemps, a fortiori s'ils ont un soupçon de talent...

CHRONIQUE. Sont couronnés de succès ceux qui travaillent fort et longtemps, a fortiori s’ils ont un soupçon de talent, n’est-ce pas ? C’est là ce que nous croyons tous, ou presque. Or, il se trouve que cette idée reçue de l’origine du succès est, en vérité, complètement fausse.

«Quand je me présente à des personnes qui ne me connaissent pas, je leur dis que je suis le président de Cartier, L’emballage optimisé, une firme de Saint-Césaire qui compte 75 employés et qui affiche un chiffre d’affaires de 45 millions de dollars. Et j’ajoute que ce qui me distingue des autres, c’est que je travaille… dix heures par semaine», a lancé David Cartier sur la scène du G500, l’événement annuel du Groupement des chefs d’entreprise qui s’est déroulé début mai, à Montréal.

La salle, remplie de près de 500 hauts dirigeants de PME, a aussitôt éclaté de rire. M. Cartier a souri, puis a précisé : «Ben oui, c’est faux, a-t-il dit. La vérité, c’est que, la plupart des semaines, je travaille huit heures». Silence général.

Cet homme était-il fou ? Se moquait-il de tout le monde ? Non, c’était là la pure vérité.

M. Cartier est entré dans l’entreprise de son père Jean, le temps de trouver mieux que les études en sociologie qu’il suivait à l’UQAM. Lui qui, selon ses dires, était un «grand paresseux» s’est alors transformé en un «bosseur invétéré», gravissant échelon après échelon jusqu’à prendre la succession du paternel. Il donnait sans cesse son 110 %, histoire de montrer qu’il était «le digne fils du boss» ; il se faisait même une fierté d’arriver le premier au travail et de stooler les employés retardataires auprès de leurs gestionnaires.

À ses yeux, il volait alors de succès en succès. Mais voilà, un beau jour, les ventes se sont grippées et les profits ont fondu a vue d’oeil. «Je suis entré en guerre contre ma gang, jusqu’au jour où j’ai saisi que, cette guerre, personne ne pouvait la gagner», a-t-il dit.

Qu’a fait M. Cartier ? Il a pris le temps de réfléchir. «J’ai ainsi découvert que le problème venait de moi : non, mon rôle n’était pas de jouer au champion que je croyais être, mais de favoriser l’émergence des champions qui m’entouraient et que ma forte personnalité écrasait», a-t-il dit.

Il s’est mis à répondre aux questions par d’autres questions. Il s’est retiré des réunions, car son seul non verbal paralysait les autres. Et il s’est forcé à arriver en retard au travail. «Je suis passé d’indispensable à inutile, pour le plus grand bien de l’entreprise», a-t-il reconnu, en toute humilité.

Aujourd’hui, le président ne s’occupe plus que de la vision, de la culture et des valeurs de l’entreprise. Il a décroché des opérations, même s’il se réserve un droit de veto ultime. «Mon salaire ? Je le justifie non par les heures passées au bureau, mais par ma contribution aux résultats globaux», a-t-il dit, fier des réalisations de ses employés sans intervention directe de sa part, à l’image de Jules, un système de capteurs intelligents pour emballeuses.

«Moins on travaille, plus on gagne en efficacité, explique Alex Soojung-Kim Pang, le consultant de la Silicon Valley qui a signé le best-seller Rest. Car la clé du succès, c’est d’alterner courtes périodes de travail et longues périodes de repos.»

Charles Darwin, Stephen King, Winston Churchill : tous ces bourreaux de travail légendaires n’ont toujours travaillé, en fait, que peu d’heures par jour. Idem, les études scientifiques abondent pour souligner les bienfaits insoupçonnés de nos temps de repos : par exemple, c’est lorsque l’esprit vagabonde qu’il trouve des idées neuves, ou encore qu’il lutte le mieux contre le stress quotidien.

«L’idéal est d’avoir un repos actif – se balader, aller au gym… -, et surtout pas inactif – chiller sur le sofa, regarder la télévision… -, dit M. Pang. Car ça permet au cerveau et au corps de respirer, de se réénergiser pour redonner sans peine son 110 % dans les heures qui suivent.»

Le plus beau, c’est que cela se vérifie tant à l’échelle de l’humain que de l’organisation. M. Pang en veut pour preuve le cas du ryokan Jinya, à Hadano, au Japon, le pays du surmenage. Lorsque l’ingénieur Tomio Miyazaki et son épouse Tomoko ont hérité de l’auberge traditionnelle et ont dû en prendre les rênes en 2009, ils ont découvert, effarés, que cette industrie-là n’offrait pas un jour de repos.

Ni une ni deux, le couple a allégé les tâches des employés pour mieux canaliser leur énergie. Et il a décidé de fermer les lundi, mardi et mercredi, en dépit des plaintes de clients. Ces changements leur ont donné l’occasion de rénover, de se moderniser et même d’innover en proposant l’organisation de mariages dans leur cadre idyllique. Ça leur a permis de tripler leur chiffre d’affaires, à 726 millions de yens (8,8 M $), de passer de 20 à 25 employés, de gonfler de 40 % le salaire moyen du personnel et de voir chuter le taux de roulement de 33 % à 4 %.

«Faites-en moins, toujours moins, et vous verrez que vous agirez alors mieux, toujours mieux», résume M. Pang. Dont acte.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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