Pour le gym Locomotion, il est question d'un suivi hebdomadaire auprès de ses membres pour offrir des conseils de nutrition et d'entraînement à la maison. (Photo: 123RF)
S’ADAPTER À LA CRISE. L’achat local n’a jamais fait aussi bonne figure, et la promotion des produits d’ici est un tremplin en or pour gagner en notoriété aux yeux des Québécois, selon tous les experts consultés. Pour que ces liens que vous tissez avec vos nouveaux clients demeurent solides, vous devrez cependant répondre aux impératifs créés par la crise, et ce, même lorsque le confinement sera terminé.
Près de 70 % des Québécois trouvent que l’achat local est important, mais leurs factures ne reflètent pas totalement leur engagement à soutenir les entreprises de la province. Cette tendance semble toutefois être en train de changer. En date du 25 avril 2020, 46 % des gens sondés par la Vigie Conso COVID-19, de l’Observatoire de la consommation responsable et de MBA Recherche, avaient fait davantage d’achats de produits fabriqués localement. Ce taux représente un bond de 12 points par rapport aux chiffres récoltés au 1er avril de la même année.
Rien d’étonnant, selon Raoul Graf, professeur au département de marketing, à l’UQAM, et chercheur impliqué dans la Vigie, qui examine les emplettes des Québécois en temps de crise. «Plusieurs études menées à l’international montrent qu’en situation de crise, et surtout quand il y a une perception de perte de bien-être financier, le consommateur deviendra plus ethnocentriste, c’est-à-dire qu’il favorisera les produits locaux», fait remarquer l’expert du comportement du client.
Raoul Graf estime que pour profiter de l’intérêt que porte le Québec à ses denrées fabriquées ici, il faut développer la notoriété d’un article, en adaptant l’affichage, notamment, aussi bien sur les étiquettes que sur les étalages des magasins. En effet, «62 % des consommateurs considèrent comme fondamentale l’identification de l’origine du produit», indique-t-il.
Démontrer la valeur ajoutée du local
Or, ce n’est pas qu’une mention sur l’étiquette qui convaincra le client de passer à la caisse, croit Bruno Lussier, professeur adjoint au Département de marketing et membre du comité scientifique de l’Institut de vente à HEC Montréal. Le consommateur devrait comprendre la valeur ajoutée d’un item et ce qu’il a à gagner en se le procurant, deux éléments qui influencent le processus d’achat.
«Dans le cas des fraises du Québec, on pourrait souligner que l’avantage est de manger un produit local. Pour ce qui est du bénéfice qui sera généré, on indiquerait que l’on consomme des produits frais, sans empreinte carbone. On est dans un monde de preuve, il faut le montrer», illustre-t-il.
Le professeur adjoint déplore par ailleurs qu’il observe peu d’articles québécois sur les étalages qui mettent en pratique ce principe.
Cette valeur ajoutée peut aller au-delà de la simple offre commerciale. Dans un contexte où les dépenses publicitaires sont en baisse, Carl Boutet, stratège en chef du Studio RX, suggère d’entrer directement en contact avec sa clientèle critique, là où elle se trouve. Les groupes sur les réseaux sociaux ou les publications spécialisées seraient des portes d’entrée.
«Ce contact doit être donnant-donnant. Contribuez à la discussion, apportez des idées, partagez des informations, et écoutez vos clients pour adapter votre produit», énumère l’expert du commerce de détail.
«Avant tout, on crée un lien avec le consommateur. […] Ce n’est pas en mettant mon nom dans le Panier bleu que du jour au lendemain, toutes mes ventes vont revenir. Il faut adapter son offre au contexte actuel […], comprendre plus que jamais quelle est notre valeur ajoutée», soutient-il.
Même son de cloche du côté de Bruno Lussier, qui estime que c’est en étant agile, en s’adaptant et en étant résilient que les entreprises, indépendamment du produit ou du service qu’elles fournissent, pourront survivre à la crise.
De nouvelles habitudes de consommation
Pour un dépanneur montréalais de bières comme Peluso, adaptation rime avec livraison à domicile de caisses d’un assemblage surprise de ses meilleurs vendeurs. Pour le gym Locomotion, il est plutôt question d’un suivi hebdomadaire auprès de ses membres pour offrir des conseils de nutrition et d’entraînement à la maison. Ce service personnalisé représente une valeur ajoutée qui justifiera de débourser 80 $ mensuellement pour retourner dans l’établissement, «même si je me suis bien équipé pour m’entraîner chez moi», illustre Bruno Lussier.
Carl Boutet croit que cette crise est l’occasion de structurer vos opérations sur le Web. L’arrêt partiel des activités économiques de la province aurait en effet mis en lumière le retard important qu’ont accumulé les entreprises québécoises en matière de transformation numérique, et ce, bien que ça fasse des années que l’on en parle.
La présidente de l’Association des sociétés de développement de Montréal (ASDM), Caroline Tessier, met d’ailleurs en garde les entreprises qui décideraient de mettre sur la glace l’élaboration de leur service numérique en voyant la réouverture des commerces approcher. Sachant que le retour à la normale ne se fera pas avant qu’un vaccin ait été approuvé, ce qui pourrait prendre encore de 12 à 18 mois selon les experts, les mesures de distanciation sociale demeureront. «Les gens plus âgés, ceux qui n’ont pas nécessairement le temps d’attendre en ligne, auront encore besoin de cette accommodation», souligne-t-elle.
Si de nouveaux services ont été offerts «de force» à cause de la distanciation sociale, ceux-ci devront donc être maintenus, même après la crise sanitaire de la COVID-19, croit le professeur adjoint à HEC Bruno Lussier.
«Les clients ont maintenant peur. On a créé une forme d’anxiété sociale. Ce n’est pas tout le monde qui, dès que le confinement sera levé, retournera à ses anciennes habitudes de consommation. Certains auront encore besoin de ces nouvelles formes d’approche client. Les entreprises québécoises qui vendent des produits locaux n’auront pas le choix de s’adapter à ça», estime Bruno Lussier.
Au moment de la réouverture de leurs établissements, la santé et l’hygiène devront primer, indique Caroline Tessier. «Les mesures sanitaires devront être impeccables, car c’est ce qui guidera le choix des consommateurs de répéter ou non l’expérience.»