Le télétravail, miroir de la pensée «business» de l’entrepreneur
Le courrier des lecteurs|Publié le 19 avril 2022Sébastien Vachon (Photo: courtoisie)
Un texte de Sébastien Vachon, président du CA et chef de la direction de Korem Géospatial
COURRIER DES LECTEURS. D’entrée de jeu, il est important de se rappeler que le télétravail ne convient pas à la grande majorité des entreprises québécoises. Ce n’est pas pour demain que votre plombier pourra venir déboucher votre toilette par l’intermédiaire d’une application installée dans l’infonuage ou qu’un ambulancier pourra se rendre sur les lieux d’un accident et vous amener à l’urgence par des routes construites dans «minecraft».
Il y a une multitude de métiers pour lesquels le télétravail est impensable à court, moyen et long terme. Je m’adresse donc aux organisations dans lesquelles le travail peut être effectué dans le confort d’un espace autre que les bureaux de l’employeur, grâce aux nouvelles technologies. Ce lieu peut même aller bien au-delà de la résidence de l’employé, voire dans un autre fuseau horaire que le siège social de l’entreprise.
Aujourd’hui, je constate qu’autour de moi, la problématique est beaucoup moins technologique qu’humaine. Le succès du télétravail est directement influencé par la conception que veut bien s’en faire le maître des lieux, soit l’entrepreneur, alias le décideur ultime. Il m’apparaît clair que la confiance qu’il accorde à ses employés et la contribution de ceux-ci jouent un rôle clé dans l’organisation et dans l’implantation de ce nouveau mode de travail. Voici pourquoi.
L’exemple de Korem
Prenons un exemple concret: mon organisation. Korem est un environnement qui connaît actuellement un succès pratiquement sans faille dans son implantation du télétravail, lequel aurait pu ne jamais voir le jour à cause de son dirigeant: moi. Cette entreprise de 90 employés toujours en saine croissance et avec un chiffre d’affaires de plus de 25 millions de dollars est gérée selon la vision d’un PDG de 52 ans avec peu d’habiletés technologiques.
Je dirige la même organisation depuis 28 ans. Visiblement, mon modèle d’affaire d’avant pandémie fonctionnait bien depuis les 26 dernières années, si l’on considère les résultats financiers et la longévité de l’entreprise dans le secteur technologique.
À l’arrivée du télétravail, j’aurais pu tomber dans une gestion d’entreprise du passé, basée sur le contrôle des heures d’entrée et de sortie des employés et du temps que chacun passe à la machine à café. J’aurais pu continuer à me demander si les motifs d’absence d’une personne sont réellement parce que son enfant est malade ou parce qu’il a plutôt un changement de pneus chez le mécanicien. Dans cette optique, un employé travaille seulement quand je peux le voir effectuer ses tâches. C’est un peu excessif, je vous l’accorde, mais c’est pour illustrer le propos.
Alors, pourquoi avoir décidé de tourner le dos si rapidement au passé et de privilégier le télétravail sans retour possible ni souhaité il y a deux ans? J’aimerais bien avoir l’air plus malin que la moyenne des ours, mais, comme tout le monde, la COVID-19 m’a imposé ce mode de travail en mars 2020. On a dû fermer les bureaux et, du jour au lendemain, tout le monde devait travailler de la maison. Non négociable! Bonne chance tout le monde!
L’entrepreneur avec 26 ans d’expérience était-il vraiment prêt? Non! Est-ce j’avais cette vision d’implantation du travail à distance si vite? Non! Est-ce que j’appréhendais son échec? Absolument!
L’entreprise était-elle prête à faire face à cette nouvelle réalité? Oui! Nos technologies et nos processus étaient-ils adaptés? Oui! Nos employés étaient-ils prêts à relever le défi? Oui! Est-ce que j’avais confiance en eux? Absolument!
Quel a été mon réflexe à ce moment-là? De faire confiance à chacun des employés, mais surtout, de leur faire sentir. Le télétravail est un projet d’entreprise où chacun doit contribuer à garantir son succès. Investir le temps et les ressources financières et matérielles nécessaires pour que chacun puisse s’adapter à cette nouvelle réalité. Oui, ça m’a obligé à taire mes craintes et mes inquiétudes. Très rapidement, mes équipes ont toutefois prouvé qu’elles étaient prêtes, et ce, depuis longtemps. Elles méritaient ma totale confiance et l’opportunité de devenir les maîtres d’œuvre de cette nouvelle étape de notre histoire d’entreprise.
Retrouver les pantoufles?
Bien entendu, il y a quelques cas d’exception qui peuvent trop souvent, et malheureusement, motiver plusieurs dirigeants à justifier le retour de leurs pantoufles de gestionnaire sans ou avec peu de télétravail pour retrouver leur confort d’avant. Ils cherchent à se rassurer en trouvant des articles corroborant leur position sur le Web ou en parlant avec des confrères qui affectionnent et préconisent cette même pensée. Hélas, ce qu’ils expriment et imposent par leur conception du travail est souvent la peur de l’inconnu, une non-confiance envers leur structure organisationnelle et, tristement, envers leurs employés.
Pour ma part, j’ai non seulement réussi à minimiser ces cas isolés, mais choisis de reconnaître la contribution extraordinaire du reste des équipes et de célébrer leurs petits et grands succès au quotidien. La raison pour laquelle j’y suis arrivée c’est que j’ai décidé, il y a plusieurs années, d’écouter mes employés et de comprendre l’ADN de mon organisation.
Il n’y a pas de recette universelle concernant le télétravail. Il existe seulement un monde de possibilités dans lequel chaque organisation doit implanter ce qui a du sens pour elle selon la maturité de ses processus, de ses différents enjeux, que ce soit au niveau de la sécurité ou encore de ses relations clients et partenaires. Cependant, le plus important, c’est la volonté de ses employés de voir le télétravail s’ancrer, car, ultimement, c’est à leurs besoins que vous devez répondre, pas aux vôtres… point final.
Comme entrepreneur, j’avais la possibilité et la capacité à moi seul de «tuer» l’initiative de la mise en place du télétravail, mais, à l’inverse, jamais je n’aurais eu la capacité de le faire seul. En conclusion, les deux années de la pandémie auront été les meilleures années de l’organisation depuis 28 ans.
J’ai choisi d’être à l’écoute, de faire confiance et d’investir dans le talent de mes employés pour assurer la pérennité de mon organisation. Je suis fier de constater comment ils ont pu créer une dynamique de travail qui leur est propre à eux et non plus à moi.