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Le télétravail, un lamentable échec dont ne veulent plus les PDG?

Olivier Schmouker|Publié le 09 novembre 2023

Le télétravail, un lamentable échec dont ne veulent plus les PDG?

Apparemment, trop d'employés en profitent pour se consacrer au farniente. (Photo: Drew Coffman pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Notre boss nous a prévenus que le patron de notre PME allait mettre le holà au télétravail. L’explication? « Ça ne fonctionne pas », sans autre précision. Je suis carrément choquée, car un grand nombre d’employés apprécient ce bon moyen de concilier vie pro et vie perso!» – Karine

R. – Chère Karine, l’heure est au bilan après trois années d’expérimentation généralisée du télétravail, et il est clair que la grande majorité des PDG s’en disent insatisfaits. Très insatisfaits même.

J’en veux pour preuve l’étude «2023 CEO Outlook» du cabinet-conseil KPMG menée auprès de 1325 PDG provenant de 11 pays, dont le Canada, et œuvrant dans 11 secteurs d’activités différents. Il en ressort notamment que:

– 64% des PDG prévoient un retour du temps plein au bureau d’ici les trois prochaines années.

– 87% des PDG prévoient d’instaurer sous peu des incitatifs au retour au bureau, sous la forme par exemple de primes, d’augmentations salariales ou de promotions.

Cette volonté farouche d’en finir une bonne fois pour toutes avec le télétravail peut surprendre. D’ailleurs, Andrew Yates, le PDG de KPMG Australie, s’en étonne lui-même dans l’étude: «J’étais convaincu que le travail hybride et flexible était là pour durer, mais je me trompais», reconnaît-il avec humilité.

Que lui reprochent-ils? Essentiellement une baisse de la productivité. Et deux autres études récentes semblent bel et bien leur donner des arguments solides.

Jose Maria Barrero est professeur de finance à l’Institut technologique autonome de Mexico, Steven Davis est professeur d’économie à l’Université de Chicago et Nicholas Bloom est professeur d’économie à l’Université Stanford. Ensemble, les trois chercheurs ont compilé des études récentes sur l’impact du télétravail sur la productivité des employés. Et le résultat est sans appel: «En général, le télétravail réduit la productivité de 10% à 20%», concluent-ils.

Pourquoi ça? Les raisons sont multiples, selon l’étude:

– difficultés de communication et de coordination du travail;

– défaillances des réseaux de communication;

– diminution de la créativité;

– baisse de l’apprentissage par les pairs et du mentorat.

À cela s’ajoutent les révélations d’une autre étude, menée par Upgraded Points, qui met au jour le fait que le télétravail est source d’innombrables distractions:

– Quand ils télétravaillent, 75% des gens en profitent pour consulter leurs médias sociaux (ce qu’ils s’empêchent de faire au bureau, de peur d’être vus).

– 70% font des achats en ligne.

– 53% regardent des émissions de télé ou des films.

– 32% planifient leurs fins de semaine ou leurs vacances.

Ce n’est pas tout. Nombre d’employés en profitent pour faire tout autre chose que travailler pour leur employeur:

– 72% en profitent pour effectuer des tâches ménagères (sur leurs heures de travail).

– 37% vont faire leur épicerie.

– 22% font la sieste.

– 12% vont boire un verre au bar d’à côté.

C’est bien simple, 1 employé sur 10 (13%) avoue carrément qu’en vérité ils ne travaillent que trois ou quatre heures par jour lorsqu’ils font du télétravail.

Karine, permettez-moi de vous poser deux ou trois questions: ne trouvez-vous pas, vous aussi, qu’il y a là de l’abus? Ne comprenez-vous pas que des PDG voient rouge en découvrant de telles statistiques? Et qu’ils n’aient plus qu’une envie: mettre fin à tout ça?

Maintenant, convient-il de totalement éradiquer le télétravail pour autant? De considérer que le télétravail est juste un prétexte pour tirer au flanc en toute impunité? Non, bien sûr, car il est ridicule d’aller d’un extrême à l’autre: le télétravail, ce n’est ni tout noir ni tout blanc. 

En fait, me semble-t-il, le problème n’est pas le télétravail, mais plutôt la façon dont on le met en œuvre. J’en veux pour indication ce que l’étude des trois chercheurs de l’ITAM, de l’Université de Chicago et de l’Université Stanford donne comme explication principale de la baisse de productivité occasionnée par le télétravail: des problèmes accrus de communication et de coordination du travail.

Il conviendrait donc de revoir notre façon de communiquer au sein d’une équipe lorsque ses membres sont à distance. De mettre en place un lien constant entre les uns et les autres qui ôterait la tentation de faire autre chose que de travailler (du genre «Les autres ne me voient pas, alors je peux bien poursuivre ma série Netflix en douce!»), mais de telle sorte que ce lien ne soit pas vécu comme une surveillance insidieuse et sournoise (l’effet Big Brother, à éviter absolument!). 

Comment y parvenir? J’avoue que je ne le sais pas trop. Mais je suis convaincu que parmi toutes les personnes qui sont en train de lire cette chronique, il y a en a sûrement quelques-unes qui ont leur petite idée sur le sujet, voire d’ores et déjà identifié une solution intéressante. D’où mon appel à tous: indiquez-moi votre trouvaille, même si elle n’est pas parfaite! Je me ferai un plaisir de partager les plus pertinentes d’entre elles avec tout le monde dans une prochaine chronique. Qui sait? Cela pourrait sauver la mise de Karine, en lui fournissant des arguments suffisants pour faire changer d’idée le patron de sa PME.