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Le temps est-il venu de libérer votre PME?

Jean-François Venne|Publié le 16 février 2022

Le temps est-il venu de libérer votre PME?

Daniel Voyer, directeur général de l'OBNL Développement PME (Photo: courtoisie)

ENTREPRENEURIAT COLLABORATIF. Certains dirigeants cassent le modèle traditionnel de gestion pour «libérer» leur PME en misant sur l’autonomie de leurs travailleurs. Cette approche théorisée par les Américains Isaac Gertz et Brian M. Carney dans l’ouvrage Liberté & Cie – Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises (2013) présente quelques promesses, mais recèle aussi plusieurs pièges.

Dans une entreprise libérée, l’autonomie et la responsabilisation des employés détrônent les règles, la hiérarchie et les contrôles. En théorie, tous les salariés deviennent des égaux et jouissent d’une grande liberté d’action. Les gestionnaires et superviseurs troquent leur rôle de supérieurs hiérarchiques contre celui de leaders mobilisateurs, qui offrent du soutien. 

«Les partisans de ce modèle estiment que ceux qui se trouvent le plus près de l’action sont les mieux placés pour prendre des décisions, avance Joanie Gamache, autrice d’un mémoire de maîtrise sur le sujet présenté en 2019 à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Cet aplatissement de la pyramide hiérarchique représente un énorme changement culturel par rapport à la gestion traditionnelle.»

Pourquoi certains dirigeants choisissent-ils cette approche? «L’argument qui revient le plus souvent soutient que la liberté et l’autonomie rendront les travailleurs plus heureux, plus mobilisés, plus efficaces, voire plus innovants, résume Joanie Gamache. Mais c’est difficile à mesurer.»

Joanie Gamache, autrice d’un mémoire de maîtrise sur le modèle de l’entreprise «libérée» présenté en 2019 à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal (Photo: courtoisie)

Un changement graduel

Au Québec, assez peu d’entreprises sont gérées de cette manière. Certaines sont souvent citées, comme le fabricant de luminaires Lumca, de Québec, Produits Métalliques Bussières, de Saint-Henri, près de Lévis, ou encore Armoires AD Plus de Sainte-Marie, en Beauce.

L’organisation à but non lucratif (OBNL) Développement PME, aussi en Chaudière-Appalaches, s’est tournée vers ce modèle. «Nous sommes passés d’une structure très hiérarchique à une autre très horizontale, dans laquelle nous misons sur l’autonomie, la responsabilisation et la confiance pour libérer le plein potentiel de notre organisme», explique le directeur général, Daniel Voyer. 

Cela a grandement transformé sa propre fonction. Il continue de faire le lien avec le conseil d’administration et a conservé son rôle de stratège. Cependant, quand il prend part à un projet, il devient un participant comme tous les autres. Ainsi, Daniel Voyer agit en soutien plutôt qu’en tant que décideur. 

Celui-ci admet que le virage n’a pas été de tout repos pour l’OBNL de 13 employés. «Au départ, en 2017, nous avons décidé d’y aller par nous-mêmes, sans accompagnement, et après un an nous avions beaucoup de problèmes, raconte-t-il. Nous sommes allés chercher un appui externe et cela nous a aidés à corriger le tir.»

Sans surprise, son premier conseil aux dirigeants qui souhaitent emprunter la voie de l’entreprise libérée est donc de se faire accompagner. Cela permet d’éclaircir les idées des dirigeants afin de bien analyser les impacts d’une telle décision et de s’assurer qu’ils prennent ce virage pour les bonnes raisons. 

Ensuite, des discussions s’imposent avec l’ensemble de l’équipe pour partager la vision des dirigeants et mieux comprendre comment les employés voient l’avenir de l’entreprise. La transition s’effectue graduellement, de manière à installer un climat de confiance dans lequel les travailleurs gagnent de plus en plus de liberté et de pouvoir décisionnel.

«Par ailleurs, bien qu’il soit invité à lâcher prise, le dirigeant de l’entreprise doit quand même établir quelques grandes règles de fonctionnement, rappelle Daniel Voyer. Il conserve aussi la main mise sur la planification stratégique et le respect de la mission et des valeurs de sa société.»

 

Rester réaliste

Si le projet peut sembler emballant, il recèle tout de même quelques pièges. «Cette approche peut générer des effets négatifs sur des travailleurs, ainsi que sur la cohésion de l’organisation», souligne Joanie Gamache. 

Elle cite en exemple la question de l’autonomie. Ses recherches montrent que la volonté d’adopter un modèle d’entreprise libérée vient généralement du patron et non des employés, qui, eux, se la voient imposer. Or, ils n’en veulent pas tous. «Certains ont besoin de plus d’encadrement, indique-t-elle. L’octroi d’un pouvoir décisionnel signifie aussi que les travailleurs deviennent plus imputables ; certains le vivent comme un grand stress ou souffrent d’une surcharge de travail.»

Joanie Gamache ajoute que l’absence de règles ou de limites peut parfois générer de la confusion, notamment sur le plan des rôles. Par ailleurs, le pouvoir et l’autorité ne disparaissent pas dans une PME libérée ; ils deviennent plus informels, culturels et sociaux. Cela peut provoquer des conflits. «On peut, par exemple, voir des groupes émerger, qui s’approprient du pouvoir et mettent de la pression sur leurs pairs», illustre-t-elle.

Ainsi, le modèle d’entreprise libérée comporte des avantages, mais on doit se garder de l’aborder d’une manière trop romantique. Joanie Gamache est partisane d’approches un peu plus hybrides, dans lesquelles on concilie une certaine forme de hiérarchie et d’encadrement avec l’octroi de plus d’autonomie et l’offre de soutien. «Peu importe le modèle retenu, il faut s’assurer que l’on a les bons acteurs, tant du côté des gestionnaires que des travailleurs, pour en faire un succès», fait-elle valoir.

 

Certains dirigeants cassent le modèle traditionnel de gestion pour « libérer » leur PME en misant sur l’autonomie de leurs travailleurs. Cette approche théorisée par les Américains Isaac Gertz et Brian M. Carney dans l’ouvrage Liberté & Cie – Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises (2013) présente quelqes promesses, mais recèle aussi plusieurs pièges.
Dans une entreprise libérée, l’autonomie et la responsabilisation des employés détrônent les règles, la hiérarchie et les contrôles. En théorie, tous les salariés deviennent des égaux et jouissent d’une grande liberté d’action. Les gestionnaires et superviseurs troquent leur rôle de supérieurs hiérarchiques contre celui de leaders mobilisateurs, qui offrent du soutien. 
« Les partisans de ce modèle estiment que ceux qui se trouvent le plus près de l’action sont les mieux placés pour prendre des décisions, avance Joanie Gamache, auteure d’un mémoire de maîtrise sur le sujet présenté en 2019 à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Cet aplatissement de la pyramide hiérarchique représente un énorme changement culturel par rapport à la gestion traditionnelle. »
Pourquoi certains dirigeants choisissent-ils cette approche ? « L’argument qui revient le plus souvent soutient que la liberté et l’autonomie rendront les travailleurs plus heureux, plus mobilisés, plus efficaces, voire plus innovants, résume Joanie Gamache. Mais c’est difficile à mesurer. »
Un changement graduel
Au Québec, assez peu d’entreprises sont gérées de cette manière. Certaines sont souvent citées, comme le fabricant de luminaires Lumca, de Québec, Produits Métalliques Bussières, de Saint-Henri, près de Lévis, ou encore Armoires AD Plus de Sainte-Marie, en Beauce.
L’organisation à but non lucratif (OBNL) Développement PME, aussi en Chaudière-Appalaches, s’est tournée vers ce modèle. « Nous sommes passés d’une structure très hiérarchique à une autre très horizontale, dans laquelle nous misons sur l’autonomie, la responsabilisation et la confiance pour libérer le plein potentiel de notre organisme », explique le directeur général, Daniel Voyer. 
Cela a grandement transformé sa propre fonction. Il continue de faire le lien avec le conseil d’administration et a conservé son rôle de stratège. Cependant, quand il prend part à un projet, il devient un participant comme tous les autres. Ainsi, Daniel Voyer agit en soutien plutôt qu’en tant que décideur. 
Celui-ci admet que le virage n’a pas été de tout repos pour l’OBNL de 13 employés. « Au départ, en 2017, nous avons décidé d’y aller par nous-mêmes, sans accompagnement, et après un an nous avions beaucoup de problèmes, raconte-t-il. Nous sommes allés chercher un appui externe et cela nous a aidés à corriger le tir. »
Sans surprise, son premier conseil aux dirigeants qui souhaitent emprunter la voie de l’entreprise libérée est donc de se faire accompagner. Cela permet d’éclaircir les idées des dirigeants afin de bien analyser les impacts d’une telle décision et de s’assurer qu’ils prennent ce virage pour les bonnes raisons. 
Ensuite, des discussions s’imposent avec l’ensemble de l’équipe pour partager la vision des dirigeants et mieux comprendre comment les employés voient l’avenir de l’entreprise. La transition s’effectue graduellement, de manière à installer un climat de confiance dans lequel les travailleurs gagnent de plus en plus de liberté et de pouvoir décisionnel.
« Par ailleurs, bien qu’il soit invité à lâcher prise, le dirigeant de l’entreprise doit quand même établir quelques grandes règles de fonctionnement, rappelle Daniel Voyer. Il conserve aussi la main mise sur la planification stratégique et le respect de la mission et des valeurs de sa société. »
Rester réaliste
Si le projet peut sembler emballant, il recèle tout de même quelques pièges. « Cette approche peut générer des effets négatifs sur des travailleurs, ainsi que sur la cohésion de l’organisation », souligne Joanie Gamache. 
Elle cite en exemple la question de l’autonomie. Ses recherches montrent que la volonté d’adopter un modèle d’entreprise libérée vient généralement du patron et non des employés, qui, eux, se la voient imposer. Or, ils n’en veulent pas tous. « Certains ont besoin de plus d’encadrement, indique-t-elle. L’octroi d’un pouvoir décisionnel signifie aussi que les travailleurs deviennent plus imputables ; certains le vivent comme un grand stress ou souffrent d’une surcharge de travail. »
Joanie Gamache ajoute que l’absence de règles ou de limites peut parfois générer de la confusion, notamment sur le plan des rôles. Par ailleurs, le pouvoir et l’autorité ne disparaissent pas dans une PME libérée ; ils deviennent plus informels, culturels et sociaux. Cela peut provoquer des conflits. « On peut, par exemple, voir des groupes émerger, qui s’approprient du pouvoir et mettent de la pression sur leurs pairs », illustre-t-elle.
Ainsi, le modèle d’entreprise libérée comporte des avantages, mais on doit se garder de l’aborder d’une manière trop romantique. Joanie Gamache est partisane d’approches un peu plus hybrides, dans lesquelles on concilie une certaine forme de hiérarchie et d’encadrement avec l’octroi de plus d’autonomie et l’offre de soutien. « Peu importe le modèle retenu, il faut s’assurer que l’on a les bons acteurs, tant du côté des gestionnaires que des travailleurs, pour en faire un succès », fait-elle valoir.