Le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, va déclencher des élections dans les prochaines semaines, croit notre blogueur invité Raphaël Melançon. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Les ministres annoncent des pluies de millions depuis le début de l’été. Les candidats pressentis font connaître leurs intentions. Les chefs, eux, sont déjà en mode séduction. Il n’y a pas de doute: des élections fédérales sont à nos portes.
Le pays est encore en mode vacances estivales, les enfants jouent dans la piscine et les hamburgers crépitent sur le barbecue. Mais au loin, le doux ronronnement des moteurs d’autobus qui s’apprêtent à sillonner le Canada d’un océan à l’autre se fait déjà entendre.
Au cours des prochaines semaines, le premier ministre Justin Trudeau devrait se rendre à Rideau Hall pour demander à la nouvelle gouverneure générale, Mary Simon, de dissoudre le Parlement, pour un scrutin qui se tiendra fort probablement au début de l’automne. Même si une majorité d’entre eux n’en ont pas envie, les électeurs canadiens seront appelés aux urnes pour la seconde fois en autant d’années.
Climat toxique ou opportunité?
Sur la place publique, le gouvernement minoritaire libéral accuse depuis quelques temps l’opposition d’obstruer systématiquement les travaux de la Chambre des communes. Justin Trudeau va même jusqu’à parler de «climat toxique» sur la colline parlementaire.
Le premier ministre aurait-il déjà oublié que c’est pourtant grâce à l’appui d’élus de l’opposition que le budget 2021-2022 et de nombreux projets de loi phares de son gouvernement ont pu être adoptés, juste avant l’ajournement des travaux pour la période estivale?
Dans les faits, ne soyons pas dupes; c’est beaucoup plus par calcul stratégique qu’il s’apprête à plonger le pays en campagne électorale. Ainsi, si certains projets de loi en cours d’étude ne peuvent être adoptés avant la dissolution du Parlement, comme le projet de loi C-10 sur les géants du web, le chef libéral n’aura que lui-même à blâmer.
Il faut dire que les voyants du tableau de bord virent de plus en plus au vert pour Justin Trudeau, qui entrevoit l’espoir de retrouver une majorité de sièges à Ottawa, après un an et demi de pandémie et de dépenses faramineuses.
Du côté droit, l’autobus des conservateurs semble être au neutre, incapables de briser le plafond des 30% d’intentions de vote, derrière les 34,3% récoltés aux élections de 2019 sous Andrew Scheer.
La stratégie du nouveau chef Erin O’Toole n’a jamais vraiment décollé. Celui qui tente depuis un an de se démarquer de ses prédécesseurs avec des positions plus au centre de l’échiquier politique peine toujours à s’imposer comme une alternative crédible aux yeux de nombreux électeurs.
Pis encore, ses prises de position auraient pour effet de démobiliser la base traditionnelle des conservateurs dans les provinces du Centre et de l’Ouest, généralement plus à droite sur les questions sociales.
Dans le rétroviseur gauche, le NPD est sans le sou et caracole à 20% dans les sondages, le Parti vert est plus déchiré que jamais, et le Bloc québécois peut difficilement espérer faire beaucoup mieux que les 32 sièges qu’il détient déjà à l’heure actuelle.
En somme, si l’écart avec le Parti conservateur et le NPD continue de se creuser, particulièrement dans les grands centres où seulement quelques points de pourcentage peuvent faire une énorme différence, le chef du PLC a une occasion en or devant lui qu’il aurait probablement tort de ne pas saisir. Les chefs des partis d’opposition auront beau dénoncer une manœuvre électoraliste évidente, tous savent qu’ils feraient probablement la même chose s’ils étaient à la place du premier ministre.
Une majorité à portée de main
Historiquement au Canada, stratèges et sondeurs visent le score «magique» de 40% afin de remporter une majorité de sièges à la Chambre des communes. À la vue des plus récents sondages, Justin Trudeau s’approche peu à peu de cet objectif, bien qu’il soit encore beaucoup trop tôt pour crier victoire.
Chez les électeurs décidés, le Parti libéral détient une légère avance et semble être sur une pente ascendante. Si le vote avait lieu aujourd’hui, le PLC aurait une chance de retrouver une majorité. Le pire qui pourrait lui arriver serait de revenir à la Chambre des communes avec un autre mandat minoritaire. On a vu pire.
Le jeu en vaut donc probablement la chandelle. Mais si l’équipe Trudeau détient l’avantage en ce moment, n’oublions pas que cinq semaines de campagne, ça peut être très long. Parlez-en à Kim Campbell.
Seul nuage gris à l’horizon: pendant que l’Europe jongle avec une recrudescence de cas de COVID-19, le variant delta pourrait soudainement venir brouiller le portrait de la relance cet automne, au beau milieu de la campagne. La menace d’une possible quatrième vague freinera-t-elle les ardeurs électorales de l’autobus libéral?
Compléter la relance
Alors que la vaccination avance rondement et que l’économie reprend progressivement son cours, il sera intéressant de voir les solutions proposées par les partis fédéraux afin d’assurer une relance saine, équitable et inclusive.
Chose certaine, tous les chefs tenteront d’imposer leur formation politique comme la référence en matière d’économie. À ce niveau, Justin Trudeau bénéficie d’une longueur d’avance sur ses adversaires, ayant déjà démontré ce dont il était capable au plus fort de la crise.
Qu’on soit d’accord ou non avec ses décisions et sa gestion des finances publiques, il n’en demeure pas moins qu’en période d’incertitude, les électeurs optent généralement pour la stabilité plutôt que de se lancer dans le vide avec un nouveau gouvernement qu’ils ne connaissent pas. C’est sans doute le pari que font aussi les stratèges libéraux présentement.
Encore faut-il que les Canadiens continuent de voir en Justin Trudeau «l’homme de la situation», celui dont le pays a besoin pour que la transition post-pandémique soit aussi harmonieuse que possible.
Main-d’œuvre et immigration
Pour les entreprises d’ici, les enjeux liés à la pénurie de main-d’œuvre seront particulièrement à surveiller. Il ne peut y avoir de reprise viable que si le Canada a suffisamment de travailleurs pour occuper les emplois disponibles. Or, la situation, qui n’a pourtant rien de nouveau, n’est pas près de se résorber.
Au Québec seulement, en raison principalement du vieillissement de la population, l’Institut du Québec prévoit que le bassin de travailleurs potentiels sera réduit de près 130 000 personnes en 2031, et ce, en incluant l’arrivée d’immigrants au cours de cette même période.
En avril, la province avait un manque à gagner «de près de 17 000, 18 000 personnes», notamment parce que la fermeture des frontières avait drastiquement ralenti l’entrée de nouveaux arrivants au pays depuis mars 2020. Le Québec n’a ainsi atteint que 57% de la cible qu’il s’était initialement fixée en matière d’immigration l’an dernier.
Rattrapage nécessaire
De l’amélioration des conditions de travail en passant par l’innovation technologique et l’automatisation, les solutions à la pénurie de main-d’œuvre sont nombreuses. Mais on aura beau augmenter les salaires et confier certaines tâches à des robots, si le bassin de travailleurs n’est toujours pas assez grand pour le nombre de postes à pourvoir, le problème persistera à long terme.
À défaut de rehausser rapidement notre taux de natalité — ce qui ne risque pas d’arriver dans les prochaines années —, la solution à court terme passe entre autres par l’immigration, qu’elle soit permanente ou temporaire.
Au Québec, le sujet peut être particulièrement glissant en campagne électorale. Rappelons que le gouvernement caquiste a fermé la porte en juin dernier à un possible rehaussement du seuil d’immigration annuel à 60 000 nouveaux arrivants en 2022, comme le réclamait la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
On peut donc s’attendre à des débats intéressants sur la question, alors que certains chefs fédéraux tenteront de ménager la chèvre et le chou pour éviter de contrarier le gouvernement Legault et de déplaire à une frange non négligeable de l’électorat québécois.
Gare à ne pas s’«autopeluredebananiser», comme disait si bien Jacques Parizeau.