(Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Si vous vivez en Europe, vous en avez certainement marre de voir de la pluie alors que l’été a déjà commencé il y a quelques semaines de cela. Pourtant, l’eau contre laquelle vous pestez tous les jours est le nerf de la vie et de… l’économie. Les besoins de ce liquide ne se concentrent pas seulement sur les humains ou les animaux, mais aussi sur la culture et de plus en plus sur l’intelligence artificielle! Cependant, cette ressource illimitée commence à atteindre ses… limites. Synthèse, analyse et thématique d’investissement très forte.
Les faits
Le 22 mars dernier a marqué la journée de l’eau. Cette journée avait pour thème «L’eau pour la paix» et mettait en avant des faits souvent oubliés :
• Quelque 2,2 milliards de personnes vivent encore sans eau potable gérée de façon sûre, dont 115 millions qui boivent de l’eau de surface
• Environ la moitié de la population mondiale est confrontée à une grave pénurie d’eau pendant au moins une partie de l’année
• Les catastrophes liées à l’eau viennent en tête de la liste des catastrophes qui se sont produites ces 50 dernières années et sont à l’origine de 70% de tous les décès dus aux catastrophes naturelles
• Les eaux transfrontières représentent 60% des flux d’eau douce dans le monde, et 153 pays ont un territoire situé dans au moins un des 310 bassins fluviaux et lacustres transfrontaliers et ont inventorié 468 systèmes aquifères transfrontaliers.
• Seuls 24 pays ont indiqué avoir signé des accords de coopération portant sur la totalité de leurs bassins transfrontaliers.
Les chiffres de la démesure
La consommation quotidienne en eau par habitant dans les zones résidentielles s’élève à 600 litres en Amérique du Nord et au Japon, entre 250 et 350 litres en Europe, elle est de 10 à 20 litres en Afrique subsaharienne. La moyenne mondiale de consommation d’eau par an est de 600 m3 par habitant, soit 137 litres par jour. Au cours de 100 dernières années, la population mondiale a triplé alors que la consommation d’eau pour l’utilisation humaine a été multipliée par 6.
L’IME (Institution of Mechanical Engineers) affirme que les besoins en eau pour répondre à la demande alimentaire en 2050 pourraient atteindre entre 10 et 13,5 milliards de mètres cubes par an, soit environ le triple de la quantité actuelle utilisée annuellement par les humains.
La production de viande par exemple nécessite une quantité d’eau beaucoup plus importante que celle des légumes. L’IME indique que pour produire 1 kg de viande, il faut entre 5 000 et 20 000 litres d’eau, alors que pour produire 1 kg de blé, il faut entre 500 et 4 000 litres d’eau.
N’en déplaise aux Suisses, le chocolat arrive en tête de liste avec 17 196 litres d’eau nécessaires pour produire 1 kg de ce produit.
Les viandes de bœuf, de mouton et de porc nécessitent également de gros volumes d’eau pour leur production. Le thé, la bière et le vin sont les produits qui en consomment le moins, selon la liste. Par rapport à la production de viande, les aliments d’origine végétale nécessitent beaucoup moins d’eau — 1 kg de pommes de terre, par exemple, consomme 287 litres d’eau.
Les faits qu’il faut retenir lorsqu’il s’agit du manque d’eau
Lorsque l’on parle de manque d’eau, cette situation ne date malheureusement pas d’hier, quelques dates importantes à retenir :
• Années 1700 à 1800 : L’industrialisation entraîne une urbanisation accrue en Angleterre, ce qui met en évidence la nécessité d’un approvisionnement en eau propre et d’un assainissement.
• 1800 s : Les pénuries d’eau apparaissent pour la première fois dans les archives historiques.
• 1854 : Le Dr John Snow découvre le lien entre l’eau et la propagation du choléra lors d’une épidémie à Londres. • 1900 s : Depuis 1900, plus de 11 millions de personnes sont mortes de la sécheresse, et la sécheresse a touché plus de 2 milliards de personnes.
• 1993 : l’Assemblée générale des Nations Unies désigne le 22 mars comme Journée mondiale de l’eau.
• 2000 : Les États membres de l’ONU fixent les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en matière de progrès du développement, y compris l’objectif de réduire de moitié en 2015 le nombre de personnes n’ayant pas un accès durable à l’eau potable.
• 2003 : L’ONU-Eau est fondée en tant que plate-forme de coordination pour les questions d’assainissement et d’accès à l’eau douce.
• 2005 : Trente-cinq pour cent de la population mondiale connaît des pénuries d’eau chroniques, contre neuf pour cent en 1960.
• 2005 à 2015 : Les États membres de l’ONU donnent la priorité au développement de l’eau et de l’assainissement dans le cadre d’une Décennie internationale d’action intitulée «L’eau, source de vie».
• 2008 : L’Année internationale de l’assainissement, reconnue par l’ONU, donne la priorité à la santé et à la dignité.
• 2010 : L’objectif d’accès à l’eau potable de l’OMD est atteint cinq ans avant la date prévue. Plus de deux milliards de personnes ont obtenu un accès à l’eau potable depuis 1990. L’Assemblée générale des Nations unies reconnaît le droit de chaque personne à disposer d’un approvisionnement en eau suffisant pour son usage personnel et domestique, qui soit physiquement accessible, équitablement réparti, sûr et abordable.
• 2013 : L’ONU désigne le 19 novembre comme la Journée mondiale des toilettes afin de souligner le problème mondial des milliards de personnes qui n’ont pas accès à des installations sanitaires adéquates.
• 2015 : Environ 2,6 milliards de personnes ont obtenu un accès à l’eau potable au cours des 25 dernières années, et environ 1,4 milliard ont obtenu un accès de base à l’assainissement depuis 2000. Les États membres de l’ONU signent les objectifs de développement durable (ODD) — successeurs des OMD qui promettent de l’eau potable et des installations sanitaires pour tous d’ici 2030.
• 2018 : Dans le monde, 2,1 milliards de personnes vivent toujours sans eau potable à domicile et plus d’un milliard de personnes n’ont toujours pas d’autre choix que «d’aller aux toilettes» dehors.
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Une question géopolitique aussi
Au fur et à mesure des années, l’eau est aussi devenue un enjeu économique majeur. Comme le rappelle le magazine Futura planète, l’histoire de l’humanité est émaillée d’exemples, de toutes les régions du monde, illustrant l’utilisation de l’eau comme instrument ou cible lors de conflits. Nous n’en citerons que quelques-uns :
• En 596 av. J.-C., pour mettre fin à un siège interminable, Nabuchodonosor détruit une partie de l’aqueduc qui approvisionne la cité de Tyr.
• En 1503, lors de la lutte que mène Florence contre Pise, Léonard de Vinci et Machiavel ambitionnent de détourner le cours de l’Arno, pour couper Pise de son accès à la mer.
• En 1938, afin d’inonder les zones menacées par l’armée japonaise, Tchang Kaï-chek ordonne la destruction des digues sur une partie du fleuve Jaune, en Chine. En 1939-1945, les barrages de centrales électriques, considérés comme des cibles stratégiques, sont bombardés.
• Au Vietnam (années 1960), de nombreuses digues sont détruites par les bombardements. Entre 2 et 3 millions de personnes seraient mortes noyées ou de faim suite à ces attaques.
• En 1999, au Kosovo, des points d’eau et des puits sont contaminés par des attaques attribuées aux Serbes. • La même année, l’explosion d’une bombe détruit le principal conduit de Lusaka, en Zambie, et prive d’eau ses 3 millions d’habitants.
Depuis la fin du XXe siècle, les ressources et les équipements subissent des menaces de plus en plus lourdes, notamment en Afrique, dans les Balkans et au Moyen-Orient.
L’adoption en 1977 de deux Protocoles, supplémentaires aux Conventions de Genève, inclut des termes plus directement liés à l’eau.
Il est depuis interdit, «quel que soit le motif», d’attaquer, de détruire, d’enlever «des biens indispensables à la survie» de la population civile, tels que «les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation».
Il est interdit d’attaquer «les ouvrages d’art ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production, d’énergie électrique». Depuis novembre 2002, l’eau est reconnue comme l’un des droits de l’Homme fondamentaux. Cela est inscrit dans l’Observation générale sur le droit à l’eau, adoptée par le Pacte relatif aux droits économiques et culturels (CESCR), lui-même ratifié par 145 pays.
Un drame mondial
D’après un rapport commun de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l’UNICEF, quelque 2,1 milliards de personnes, soit 30% de la population mondiale, n’ont toujours pas accès à des services d’alimentation domestique en eau potable et 4,5 milliards, soit 60%, ne disposent pas de services d’assainissement gérés en toute sécurité.
361 000 enfants âgés de moins de cinq ans meurent chaque année de diarrhée, sans compter que la piètre qualité des installations sanitaires et l’eau contaminée favorisent également la transmission de maladies comme le choléra, la dysenterie, l’hépatite A ou encore la typhoïde.
Le Fonds mondial pour la nature estime que d’ici à 2025, deux tiers de la population mondiale pourraient être confrontés à des pénuries d’eau.
Les Nations Unies de leur côté estiment que plus de deux milliards de personnes vivent dans des pays qui connaissent déjà un stress hydrique élevé. Le changement climatique, l’augmentation de la population mondiale, la demande accrue de l’agriculture et l’expansion des zones urbaines sont autant de facteurs qui ne feront qu’accentuer ce stress dans les années à venir.
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L’intelligence artificielle s’immisce dans l’équation
Si on a vu que les industries telles que l’agriculture et le secteur manufacturier «consomment» énormément d’eau, les centres de données (data centers) ont également besoin d’eau pour remplir des fonctions essentielles telles que le refroidissement des équipements informatiques afin d’éviter leur surchauffe. Si l’on compare le pourcentage d’eau disponible pour l’homme à la grande quantité d’eau utilisée pour le refroidissement des centres de données, la fabrication et l’agriculture, on peut rapidement en déduire qu’il s’agit d’une denrée précieuse et rare.
NPR rapporte qu’un seul centre de données moyen utilise 300 000 gallons (1,13 million de litres) d’eau par jour pour se refroidir, ce qui équivaut à peu près à la consommation d’eau de 100 000 foyers.
De nombreux centres de données consomment directement de l’eau sur place pour évacuer la chaleur générée par l’équipement informatique.
L’empreinte hydrique de l’IA varie considérablement en fonction de l’endroit où elle est formée et hébergée. Par exemple, l’IA consomme de 1,8 à 12 litres d’eau pour chaque kWh d’énergie consommée dans les centres de données mondiaux de Microsoft, l’Irlande et l’État de Washington étant respectivement les sites les plus et les moins économes en eau.
Le «cas» Chat GPT
On a beaucoup parlé de ChatGPT, et bien tenez-vous bien, cette application «consomme» aussi beaucoup (trop) d’eau. Par exemple, la production d’une puce électronique nécessite environ 2 200 gallons d’eau ultra-pure (UPW). Par ailleurs, l’entraînement d’un grand modèle de langage comme le GPT-3 peut consommer des millions de litres d’eau douce, et l’exécution de l’inférence du GPT-3 pour 10 à 50 requêtes consomme 500 millilitres d’eau, selon le moment et l’endroit où le modèle est hébergé. GPT-4, le modèle actuellement utilisé par ChatGPT, aurait une taille beaucoup plus importante et consomme donc probablement plus d’eau que GPT-3.
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Une thématique d’investissement forte
Le but ici n’est bien évidemment pas de profiter de cette situation dramatique, mais plutôt d’analyser les sociétés qui seront les plus à même d’améliorer cette situation en développant des solutions et des méthodes pour combattre ce fléau.
Les thématiques:
• Logiciel & Smartgrid
• Purification «chimique» de l’eau • Pompe, équipements de traitement et d’analyse
• Smartfarming
• De nombreux ETF (ESG responsable) et de fonds spécifiques reprennent aussi la thématique de l’eau.
Synthèse
Le manque d’eau douce et son utilisation abusive sont un drame pour l’humanité, ce d’autant plus que les besoins exponentiels pour l’intelligence artificielle commencent à créer un réel problème. Il y a cependant de nombreuses manières d’investir dans cette thématique et dans des sociétés dont le seul but est d’améliorer la situation actuelle et d’éviter que la situation ne s’aggrave.