Les réactions ont fusé dès les rumeurs de la cession des activités de Téo Taxi, tôt mardi matin. La plupart étaient prévisibles : encore un autre échec financé par nos taxes, un modèle d’affaires bancal trop risqué pour mériter l’aide gouvernementale, et même avant : une vision qui se bute à la dure réalité du marché.
«On a la mèche courte, parfois, au Québec. Bâtir une entreprise, c’est déjà assez difficile, en plus il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain», débute Chris Arsenault, associé du fonds montréalais iNovia, qui souhaite clairement qu’on trouve le positif dans cette aventure afin de mieux aider les prochains projets à connaître du succès. «Car si tu ne prends jamais de risques, tu ne gagnes jamais rien», ajoute l’homme d’affaires. En une douzaine d’années, iNovia a investi dans environ 70 entreprises. Du lot, une trentaine connaît du succès, et une douzaine d’autres ont fini par être vendues, contribuant à rentabiliser le fonds d’investissement.
Téo Taxi, faut-il le rappeler, est née dans la foulée de l’émergence d’Uber, une entreprise qui a généré tellement de pertes depuis ses tout débuts qu’elle n’aurait évidemment jamais pu voir le jour au Québec. Et pourtant, Uber entrera en Bourse plus tard cette année et pourrait marquer l’Histoire, atteignant une valeur jusque-là inédite dès les premières négociations, oscillant autour des 120 milliards $US.
Uber, puisqu’on en parle, n’a été profitable qu’un bref instant, au début de l’an dernier, mais ça n’a pas suffi, puisqu’elle a terminé l’année avec une perte de 891 millions $US.
Inutile de dire que tous les investisseurs qui ont injecté les liquidités nécessaires dans celle qui aura été la start-up américaine la plus financée, ayant connu la croissance domestique et l’expansion internationale les plus rapides de l’histoire de la Silicon Valley (qui ne manque pourtant pas de cas d’espèce), se frottent les mains d’impatience de voir l’entreprise cotée en Bourse. Car ils vont empocher gros.
On ne sait pas trop où Alexandre Taillefer comptait finalement se rendre avec Taxelco, la maison-mère de Téo Taxi. Son plan d’affaires différait de celui d’Uber de plein de façons, les plus importantes étant l’acquisition d’un imposant actif roulant, l’autre étant de tenter de brasser la cage du monde du taxi avec plus de modestie. Mais force est d’admettre que la tolérance envers des projets d’entreprise risqués comme celui-là n’est pas la même, au Québec, qu’elle l’est à San Francisco.
Question de culture?
En fait, la culture économique québécoise est aux antipodes de la californienne, à l’heure actuelle. Pendant que la Silicon Valley s’apprête à faire sauter la banque à Wall Street en 2019, plus tôt cette semaine, le collègue Stéphane Rolland écrivait sur l’appel à l’aide du milieu financier montréalais pour convaincre le gouvernement Legault d’inciter les entreprises d’ici à s’inscrire en Bourse.
«Tout le monde est d’accord qu’il y a un manque de premiers appels publics à l’épargne (PAPE) et qu’il faut relancer l’écosystème», commente une source citée par mon estimé collègue.
Est-ce un creux de cycle? L’an dernier, on a compté 54 nouvelles inscriptions en Bourse au Canada, pour une valeur de 2,2 milliards $. C’est moins que la moitié de ce qui a été réalisé en 2017 (5,1G$). On imagine mal ce que ça aurait été sans la légalisation du cannabis, qui a généré à elle seule la création de plusieurs nouvelles entreprises à capital ouvert.
Notez au passage que le Québec n’a à peu près aucune représentation parmi les leaders boursiers de ce marché tout naissant. Plus d’un expert financier vous dira que ça reste spéculatif, tout ça, mais quand on jette les bases d’une toute nouvelle industrie, c’est une réaction tout à fait prévisible. On verra qui seront les gagnants et les perdants dans une dizaine d’années, quand le marché sera plus mature, mais on peut déjà parier que les profits ne retomberont pas en sol québécois.
Un entrepreneur commentant la disparition de Téo Taxi, plus tôt cette semaine, a bien résumé cette situation, indirectement : «le Québec n’a pas encore fait la paix avec l’entrepreneuriat, le risque, l’échec».
Moins on risque…
Pour en revenir au transport, le grand Montréal a accroché une autre corde à son arc innovant il y a quelques années : les vélos en libre-service de Bixi. En manque de soutien, l’entreprise a dû se transformer en 2014, devenant un OBNL, d’une part, puis créant une seconde entreprise, PBSC, pour signer à l’international des ententes de licence de son modèle et de sa technologie. Le succès est modeste, mais au rendez-vous, pour celle-là.
Qui a aidé Bixi dans cette transformation? La ville de Montréal. Des fois, on a l’impression qu’il n’y a que du financement provenant du gouvernement, au Québec. Ça rend les gens frileux quand un échec survient.
On a hâte de voir comment évolueront ces deux sociétés maintenant que plusieurs joueurs internationaux aux poches profondes, incluant Uber, justement, comptent s’attaquer au marché international du transport urbain en libre-service. Des services intégrés qui comprennent des autos, des vélos et même des trottinettes électriques, pourquoi pas.
Dans quelques années, on sera probablement épatés par la transformation d’Uber, cette start-up en déficit chronique, en une championne du transport urbain multimodal. Se rappellera-t-on qu’une entreprise similaire aurait pu être créée à Montréal, où on retrouvait tous les ingrédients pour reproduire la même recette?
Car quand on risque, le succès peut aussi être au rendez-vous. Une autre entreprise californienne qui fera un malheur en Bourse cette année est Airbnb. Souvenez-vous qu’il y a deux ans, elle a mis la main sur Luxury Retreats, une start-up montréalaise fort prometteuse qui lui permettait d’améliorer son produit, pour une somme avoisinant les 200 millions $.
Une troisième entrée en Bourse fort attendue, chez nous du moins, est celle de Lightspeed POS, une entreprise montréalaise qui a clos une dernière ronde de financement de 166M$US au début de l’année dernière afin de s’y préparer. Lightspeed POS pourrait valoir plus d’un milliard de dollars une fois inscrite au TSX. C’est la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) qui a allongé le gros de la somme consentie.
Cette ronde survenait après que des investisseurs américains aient retiré leurs billes de Lightspeed, ce qui a fait dire à plus d’un analyste qu’il n’y avait plus rien à tirer de cette entreprise. Et pourtant…
Bref, c’est ça, le risque : des fois on gagne, des fois on perd. Moins on risque, moins on a de chances de perdre, c’est bien sûr.
Mais on a aussi beaucoup moins de chances de gagner…
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