L’économie et la vision, oubliées de la campagne électorale
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑octobre 2019(Photo: 123RF)
CHRONIQUE. Notre économie se porte bien, mais tous les voyants ne sont pas au vert pour autant. Malheureusement, au lieu de nous proposer des politiques visionnaires et des engagements structurants, les partis politiques ont surtout misé sur des baisses d’impôt, sur l’ajout et la bonification des programmes sociaux ainsi que sur certaines promesses aguichantes pour séduire les électeurs.
C’est dans cette dernière catégorie que tombent l’aide fiscale du Parti libéral (PLC) pour initier les enfants au camping et les crédits d’impôt du Parti conservateur (PCC) pour les activités sportives, artistiques et éducatives des enfants et le transport en commun, ainsi que l’abolition de la taxe carbone, dont 90 % du produit est pourtant retourné aux citoyens.
Les tacticiens ont planifié leur plaforme électorale comme si le gouvernement disposait d’une marge de manoeuvre illimitée. Selon la doctrine keynesienne, un gouvernement doit réaliser des surplus et rembourser ses dettes quand l’économie va bien, ce qui est présentement le cas, de façon à se permettre des déficits et emprunter quand l’économie se contracte, de manière à aider à sa relance.
Que le prochain gouvernement soit formé par le PLC ou par le PCC, il est certain que des déficits importants seront à l’ordre du jour pendant plusieurs années et que notre dette nationale s’accroîtra. Pire, ces déficits pourraient exploser si une récession survenait. Rappelons-nous qu’à la suite de la crise financière de 2008, le gouvernement de Stephen Harper a cumulé en trois ans des déficits de 115 milliards de dollars.
Autre incongruité, les nouvelles dépenses proposées par les partis ne sont pas destinées à des investissements en infrastructures, ce qui veut dire que la nouvelle dette que l’État mettra sur nos épaules servira surtout à verser des transferts et à payer des salaires de fonctionnaires.
Hausse des dépenses, baisse des impôts
Ne reculant devant rien pour séduire les électeurs, le PLC propose de nouvelles dépenses évaluées à 56,9 G$ en quatre ans. Sa principale mesure, la hausse de 13 229 $ à 15 000 $ de l’exemption personnelle de base des particuliers, coûtera 5,8 G$ en 2024-2025. Toutefois, seraient exclus de cet avantage les contribuables qui ont un revenu supérieur à 150 605 $ (en progression jusqu’à 215 557 $ à la quatrième année).
Le PLC entend notamment hausser de 10 % la pension de vieillesse pour les plus de 75 ans, aider les familles ayant un enfant de moins d’un an, ajouter des bourses d’études et améliorer l’assurance-emploi. Pour payer ces dépenses, le PLC ajouterait notamment une taxe sur l’achat de biens de luxe (de 585 millions de dollars à 621 M$ à la quatrième année), une taxe sur la spéculation immobilière (de 217 M$ à 256 M$) et une taxe sur les revenus des géants du Web (de 540 M$ à 730 M$). Certains de ces revenus sont incertains.
Comme il prévoit 25,4 G$ de nouveaux revenus au cours de la période, le manque à gagner du gouvernement serait de 31,5 G$. Quant au déficit, il s’accroîtrait de 94 G$ en quatre ans. Il est décevant que le PLC ne prévoit aucun retour à l’équilibre budgétaire, comme s’il était sain de vivre avec un solde à payer sur sa carte de crédit.
Le PCC prévoit lui aussi une baisse de l’impôt des particuliers, mais sa démarche est différente de celle des libéraux. Le PCC promet une réduction, de 15 % à 13,5 %, du taux d’imposition sur les premiers 47 629 $ de revenu imposable, une mesure qui coûterait 6,1 G$ en 2024-2025. Tous les contribuables en profiteraient. Le PCC prévoit aussi une bonification du régime enregistré épargne-études, la suppression de l’impôt sur les prestations de maternité, l’abolition de la TPS sur le chauffage résidentiel, un crédit d’impôt à la rénovation résidentielle et de l’aide fiscale aux PME.
Le PCC dit viser l’équilibre budgétaire à la quatrième année d’un gouvernement conservateur, mais il n’avait toujours pas présenté de cadre financier au moment de mettre sous presse. Or, selon Kevin Milligan, économiste à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), le programme du PCC se traduirait par des déficits cumulés de l’ordre de 70 G$ en quatre ans, dont 15,6 G$ en 2023-2024, l’année où l’équilibre devrait être atteint selon Andrew Scheer. C’est manifestement irréaliste.
Bref, les tacticiens du PLC et du PCC ont beaucoup d’imagination et recourrent à la pensée magique quand il s’agit de séduire les électeurs. (Parce que les autres partis ne formeront pas le gouvernement et, pour des raisons d’espace, leurs plateformes électorales n’ont pas été analysées.)
Manque de vision
La plupart des partis ont abordé l’enjeu de l’urgence climatique, mais on n’y trouve rien de contraignant, à part la taxe carbone du PLC.
Ils ont aussi ignoré la question de la productivité du travail, qui a reculé de 0,2 % en 2018, ainsi que les enjeux liés à l’innovation, au financement de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Alors que les énergies fossiles appartiennent au passé, il serait pertinent et inspirant de nous engager de façon décisive dans la R et D sur les technologies propres.
En dix ans, le Canada est passé du 9e au 12e rang dans l’indice de compétitivité du classement du Forum économique mondial. Nous figurons au 17e rang de l’indice de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Nous reculons dans le classement des pays pour l’effort de R et D. La campagne qui s’achève n’a rien offert d’inspirant en matière de vision et d’engagement en vue de faire du Canada un pays d’avant-garde sur le plan du développement durable et du leadership politique. Est-ce trop espérer que le gouvernement qui dirigera notre destinée pour quatre prochaines années hausse sa vision et ses ambitions quant à l’avenir de notre pays?