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L’EDI en entreprise: au-delà de la polarisation

Le courrier des lecteurs|Mis à jour le 18 juin 2024

L’EDI en entreprise: au-delà de la polarisation

En organisant l'EDI autour de règles et de messages univoques, on en fait le plus souvent un exercice prescriptif qui ne tient pas compte de la nature des interactions propre à son milieu. (Photo: 123RF)

Un texte de Valérie Boire, conseillère en développement organisationnel, M.A. en médiation interculturelle

 

COURRIER DES LECTEURS. Depuis quelques années, on voit passer de nombreuses chroniques pour en défendre le bien-fondé, ou alors pour en pourfendre les dérives potentielles. Or, ce faisant, on passe à côté d’éléments essentiels pour en faire une pratique plus applicable et adaptée à nos milieux d’affaires.

 

Éclairons d’abord ce que l’EDI n’est pas:

Ce n’est pas une idéologie. Les sociétés occidentales cherchent toutes la manière de répondre aux défis qu’amènent la pluralité et les mobilités, ainsi qu’aux inégalités qui se sont enracinées au fil de leurs histoires respectives. Le vivre-ensemble n’est pas tant une question de bons sentiments qu’une nécessité structurelle. En cela, les approches sont bien sûr colorées par différents modèles sociopolitiques, qui valorisent différemment la promotion des différences ou celle d’une nécessaire cohésion. Or, cela ne veut pas dire qu’on doive les amalgamer aux formats de l’EDI comme tels. En d’autres mots, l’EDI n’est pas en elle-même une idéologie, bien qu’on puisse en effet la décliner sous la lunette d’une, ou autre, vision du monde. Les entreprises ont tout intérêt à participer au vivre-ensemble et à réduire les inégalités — le véritable fond derrière les différents discours en circulation — mais la forme leur appartient bien en propre: on peut l’adapter en fonction de la réalité de ses équipes. Pourrait-on mieux accompagner les organisations dans ce discernement, entre la forme et le fond, dans leurs applications de l’EDI?

Ce n’est pas une recette. Traditionnellement, on a rattaché la gestion des enjeux d’EDI en entreprise à différents mécanismes légaux liés aux ressources humaines. Par exemple, l’équité salariale, l’accès à l’égalité en emploi, les adaptations fonctionnelles, les accommodements raisonnables et la santé et sécurité font partie des obligations de l’entreprise en regard de diverses lois. Depuis quelques années, on cherche pourtant la manière de professionnaliser davantage l’aspect plus social de l’EDI (dynamiques interpersonnelles, culturelles, hiérarchiques, etc.), au-delà de la seule conformité au cadre légal. Or, en l’organisant autour de règles et de messages univoques, on en fait le plus souvent un exercice prescriptif qui ne tient pas compte de la nature des interactions propre à son milieu. Distingue-t-on bien ce qui se prête à la prescription de ce qui devrait plutôt faire l’objet d’adaptation?

Ce n’est pas un conflit de valeurs. Pour ceux qui pensent l’EDI, provenant le plus souvent des secteurs communautaire et académique, l’argumentaire commercial peut paraitre servir à se distancier du politique et des effets réels de l’injustice, voire à s’en déresponsabiliser. Pour d’autres, qui se préoccupent de mettre l’EDI en pratique dans une logique d’affaires, les discours critiques peuvent sembler inadaptés au contexte du travail, en braquant le milieu dans un affrontement de factions. Pour autant que chacun amène des arguments en soi légitimes, les uns et les autres usent de langages propres à leurs cadres de référence respectifs, ce qui entrave souvent les échanges. L’impératif commun est pourtant d’accompagner dans une gestion du changement, en tenant compte de niveaux différents de nécessité, d’exposition et de préparation face à ce qu’on se propose d’entreprendre. Comment dépolariser le traitement des enjeux, sans pour autant en dépolitiser la responsabilité ou les effets?

 

 

Aligner l’EDI à son organisation:

Des réponses à ces questions sont tout à fait envisageables en recensant mieux les réalités et les besoins de son organisation:

1. La nature et le régime d’exposition à l’interculturel. Une entreprise évoluant dans un environnement hautement diversifié comme Montréal; une autre qui planifie l’intégration de travailleurs étrangers temporaires en région; ou une PME familiale qui cherche à consolider ses pratiques ou à gérer sa croissance, composent chacune avec des priorités fort différentes. Les mesures n’auront donc pas la même pertinence ou la même portée ni ne devraient focaliser sur les mêmes aspects ou suivre une même formule.

2. Les prédispositions personnelles des gestionnaires. L’utilisation d’un modèle psychométrique peut servir à prédire certaines tendances, telles que la tolérance à l’ambiguïté, la conformité aux normes sociales ou la curiosité face à de nouvelles expériences — c’est-à-dire des prédispositions significatives dans notre rapport au changement et à la différence. Les individus suivent aussi différents cheminements dans le développement d’une sensibilité interculturelle. Une évaluation d’équipe (par exemple, www.idiinventory.com) peut servir à identifier des fenêtres de croissance pour son développement continu.

3. Le niveau de maturité de l’entreprise en matière d’EDI. Les actions n’auront pas un même ancrage selon qu’on se trouve à une étape de conscientisation, de conformité stratégique ou d’innovation proactive, par exemple. On peut se référer aux grilles d’autoévaluation du Bureau de normalisation du Québec (allant d’«aucune réflexion amorcée» à «référence dans l’industrie»), par exemple.

4. Les leviers de sa culture organisationnelle. Un même message peut se décliner différemment selon qu’on évolue dans une culture qui valorise la loyauté ou plutôt l’autonomie professionnelle, par exemple (Hofstede Insights). «Un cadre bien choisi peut renforcer l’utilisation d’un outil; un cadre mal choisi peut atténuer, voire annuler l’efficacité d’un outil» (David Hurst). Les initiatives bénéficieront d’une meilleure adhésion si on les adapte en contexte à ces codes implicites.

5. Les plans d’action à court ou à plus long terme. Si certaines actions peuvent facilement s’entreprendre de manière ponctuelle ou s’appliquer dans l’immédiat (par exemple, une formation), celles qui viseraient des chantiers de changement plus profond bénéficieraient sans doute mieux qu’on établisse des mécanismes de concertation plus large dans la durée (par exemple, un développement professionnel plus inclusif).

Au-delà des seules RH ou communications, l’EDI relève du développement organisationnel et se rattache à des nécessités objectives de l’entreprise: la conformité au cadre légal, l’inscription dans le social (désirabilité, acceptabilité, responsabilité) et le développement structurel durable du travail. Idéalement, on verra se consolider une fonction plus médiatrice qui, dans une posture de tiers de confiance au service du milieu, amènerait les équipes qui y évoluent à établir des mesures concertées entre elles, en facilitant néanmoins un équilibre des influences, le respect des droits et l’alignement stratégique. En définitive, cela revient à renforcer nos compétences civiques et de perspective. En attendant, l’EDI continuera sans doute de soulever des débats essentiels, mais on peut envisager qu’une analyse adéquate de son milieu contribuerait déjà à faire de l’équité, la diversité et l’inclusion des réalités plus tangibles au sein de nos entreprises.

 

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