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L’éducation sexuelle, une trousse à la fois

Dominique Talbot|Publié le 15 novembre 2023

L’éducation sexuelle, une trousse à la fois

Béatrice Amyot – Réforme (Photo: courtoisie)

Pour tout l’automne, Les Affaires vous présente SOLUTION START-UP, une rubrique dédiée aux jeunes entreprises innovantes du Québec. Vous découvrirez des entreprises qui ont franchi l’étape de l’«accélération». C’est un rendez-vous chaque semaine, tous les mercredis à 12h.

SOLUTION START-UPBéatrice Amyot a grandi dans un désert. Au sens figuré. Plus précisément, dans un désert d’éducation à la sexualité, absente remarquée des salles de classe du Québec pendant la première décennie des années 2000 et la majeure partie de la suivante.

Elle ne le savait pas encore à l’époque où elle était sur les bancs d’école au primaire et au secondaire, mais c’est à partir de cette sécheresse que l’idée de se lancer en affaires germerait un jour.

«L’éducation à la sexualité, c’est tellement plus que juste les relations sexuelles. C’est apprendre à établir des relations égalitaires. C’est aussi établir ses droits. C’est tellement complet», dit l’entrepreneure. Même «l’ONU a reconnu que l’éducation à la sexualité était un droit de l’enfant.» À partir de ces constats, donc, est née Réforme, une entreprise qui dès ses débuts, Béatrice Amyot n’a pas voulu comme les autres.

«Nous sommes un organisme à but non lucratif (OBNL) où l’on conçoit des outils pédagogiques ludiques pour l’éducation à la sexualité dans les écoles.» Des outils rassemblés dans des trousses qui incluent les appareils de reproduction masculin et féminin, des cartes de jeu, de la pâte à modeler, des fiches informatives et des manuels destinés aux élèves de 5e et 6e années, ainsi que celles et ceux de troisième secondaire. Tout est conçu et fabriqué au Québec, tient-elle à ajouter.

Et non, l’entrepreneure n’est pas sexologue. Elle est plutôt designer. Ces outils pédagogiques conçus par Réforme sont le résultat de son projet de fin de baccalauréat en design de produits à l’université Laval.

«J’avais envie de choisir une problématique tangible, mais aussi un peu taboue. Je voulais me démarquer des autres projets. Finalement, c’est une idée qui a plu au jury, mais aussi à la population en général.» Justement, la réponse de la «population en général», elle l’a constaté sur les réseaux sociaux. Voyant qu’elle était en train de répondre à une demande en dormance, elle a poussé sa formation plus loin, cette fois à l’École d’entrepreneuriat de Québec.

La réponse ne s’est pas fait attendre. Aujourd’hui, près de 300 écoles de la province lui ont acheté ses trousses d’éducation à la sexualité. 300 écoles, c’est 10% des établissements du Québec. «Et ce n’est qu’un début», dit-elle.

En 2022, l’OBNL a fait des ventes dépassant légèrement 100 000 $. En 2023, son chiffre d’affaires dépasse déjà 600 000 $. Il y a encore beaucoup d’espace pour la croissance alors que le marché est énorme et l’offre pour ce type de produit très faible. D’ailleurs, quand elle contacte les écoles, il arrive qu’on lui demande pourquoi ça n’existait pas déjà, confie l’entrepreneure.

 

Élements de la trousse d’éducation à la sexualité de Réforme (Photo: courtoisie)

Assurer la pérennité

C’est peut-être ici dans votre lecture que vous vous demandez : «Mais avec un tel potentiel, pourquoi avoir fait un OBNL ?» Rassurez-vous, vous êtes loin d’être les seul.es.

«L’OBNL est une mission qui habite les personnes qui y prennent part. En démarrant Réforme, oui il y avait une belle possibilité de faire de l’argent. Mais il y avait aussi une mission commune qui rassemblait beaucoup de gens. Et aussi, c’était une belle occasion d’entrer dans le monde de l’entrepreneuriat. L’OBNL, c’est un peu moins stressant comme entrepreneur. Il y a aussi une tonne d’organismes qui sont là pour t’aider à faire ton plan d’affaires, te structurer et à démarrer», répond Béatrice Amyot.

«Aussi, l’OBNL est très attractif pour les employés. Et pour sa propre réussite aussi. Un des organismes qui m’aidait à choisir la structure juridique de Réforme m’a présenté une statistique qui m’a beaucoup parlé. Environ 40% des entreprises incorporées qui sont vendues vont réussir à survivre à cette vente. Mais plus de 70% des OBNL réussissent à survivre à la suite d’un changement à la direction générale», poursuit-elle.

Pour le moment, elle est la seule personne de Réforme à y travailler à temps plein. Mais plus d’une dizaine de personnes viennent s’y ajouter ponctuellement pour remplir différents mandats. Des sexologues, des travailleurs et travailleuses sociaux, des designers, des graphistes et des illustrateurs.

Et maintenant que le ministère de l’Éducation donne des intentions éducatives dans son cursus, Réforme se donne pour objectif «d’uniformiser l’éducation à la sexualité au Québec. S’assurer que toutes et tous les élèves bénéficient d’une éducation complète en la matière. Et par le fait même qu’ils aient accès à des outils comme les nôtres. Tous les élèves et les profs ont accès aux mêmes informations, qui ne sont pas teintées de jugement», dit Béatrice Amyot.

«Les enseignants et les enseignantes se sentent encadré.es. Et aussi plus détaché.es des notions. Quand on n’a pas les bons outils, on va parler de ses expériences personnelles, de soi. En ayant ces outils, les enseignant.es se détachent de la matière à enseigner», ajoute-t-elle.

Pour le moment, les trousses de Réforme ne sont offertes qu’au Québec, mais Béatrice Amyot a le regard tourné vers les écoles francophones de l’Ontario et la France. Elle a d’ailleurs participé à une mission économique à Lyon cet automne. Aussi, ses outils d’éducation à la sexualité seront traduits en anglais cet été dans le but de percer le marché canadien.

«Mon idée, ça serait de marquer une génération. Ça serait drôle que dans 20 ans, des jeunes se disent : “Tu te rappelles à l’école quand nous faisions de l’éducation à la sexualité avec des pénis jaunes ?” Je dis ça en riant, mais ça serait tant mieux, car ça les aura marqués positivement.»