L’emphytéose: une formule qu’affectionnent peu les investisseurs
Claudine Hébert|Édition de la mi‑novembre 2019« Cette formule de longs baux de 10 à 100 ans a été très populaire dans les années 1950 et 1960 sur le territoire montréalais. Ce qui permettait à ces organisations de toucher une rente annuelle et aux promoteurs d’investir leur argent principalement dans la construction de la structure », dit Jean Laurin, président de l’agence Devencore. (Photo: courtoisie)
LES GRANDS DE L’IMMOBILIER. Plusieurs immeubles au Québec, notamment près d’une dizaine au centre-ville de Montréal, sont construits sur des terrains sous emphytéose. Or, cette formule qui se présente sous forme de bail de longue durée entre le propriétaire du terrain et le propriétaire de l’immeuble semble ne plus avoir la cote auprès des investisseurs immobiliers. «En fait, les investisseurs préfèrent les éviter, surtout lorsqu’ils sont de plus courte durée», soulève Sylvain Leclair, vice-président directeur, Québec, Recherche, évaluation et services-conseils chez Groupe Altus.
On chuchote même à mots couverts que le 1000, rue de la Gauchetière Ouest, mis en vente par son propriétaire Ivanhoé Cambridge l’année dernière, n’a pas trouvé preneur justement en raison de l’emphytéose qui le lie à l’archevêché de Montréal.
Le cas de Mirabel constitue aussi un autre exemple où l’emphytéose limite les investissements immobiliers. L’Aéroport de Montréal, qui est le gestionnaire du vaste territoire de quelque 32 millions de pieds carrés appartenant au gouvernement fédéral, a reconnu avoir de la difficulté à trouver des investisseurs en raison du bail auquel sont liés les terrains jusqu’en 2072. Or, le gouvernement fédéral a récemment montré une ouverture afin de rétrocéder ces terrains à la Ville de Mirabel. Le dossier suit son cours.
Pourquoi une emphytéose ?
Anciennement connu sous le nom de bail emphytéotique, l’emphytéose est une formule qui, selon le Code civil du Québec, «permet à une personne, pendant un certain temps, d’utiliser pleinement un immeuble appartenant à autrui et d’en tirer tous les avantages, à la condition de ne pas en compromettre l’existence et à charge d’y faire des constructions, ouvrages ou plantations qui augmentent sa valeur d’une façon durable».
«Cette formule de longs baux de 10 à 100 ans a été très populaire dans les années 1950 et 1960 sur le territoire montréalais. Ce sont notamment des communautés religieuses et des sociétés de transport qui demeuraient propriétaires des terrains où des promoteurs ont construit de grands immeubles. Ce qui permettait à ces organisations de toucher une rente annuelle et aux promoteurs d’investir leur argent principalement dans la construction de la structure», explique Jean Laurin, président de l’agence Devencore. Toutefois, poursuit-il, plus on se rapproche de l’échéance, moins le propriétaire a tendance à vouloir investir pour améliorer sa propriété. Par conséquent, la valeur de l’immeuble tend à diminuer.
«De plus, ce type d’immeuble devient moins intéressant lorsque la durée restante du bail se rapproche de l’amortissement nécessaire pour rembourser l’hypothèque de l’immeuble», explique M. Leclair. Du coup, ajoute-t-il, les prêteurs institutionnels se montrent plus réticents à vouloir financer ce type de détention. Par ce fait même, l’immeuble devient plus difficile à vendre.
C’est la raison pour laquelle les propriétaires des immeubles vont généralement négocier une entente qui leur permet de mettre fin au bail avant la fin de ce dernier, en achetant la totalité du terrain, indique M. Laurin.
Parmi les transactions immobilières commerciales majeures de l’année 2019, on note justement le rachat du terrain sous emphytéose du Centre Bell. Le Club de hockey Canadien a conclu, pour la somme de 50 M $, l’acquisition du terrain qui appartenait jusqu’à maintenant au Canadien Pacifique.