L’encaisse de son portefeuille et le «coût d’opportunité»
Philippe Leblanc|Édition de la mi‑octobre 2021(Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Le « coût d’opportunité » représente la valeur de la meilleure occasion que l’on rate en choisissant de faire un placement quelconque. Quand vous décidez d’investir dans des obligations gouvernementales, le coût d’opportunité représente par exemple les rendements additionnels que vous laissez sur la table à long terme en n’investissant pas à la Bourse ou dans un autre type de placement.
Le fait de conserver une encaisse substantielle dans son compte bancaire représente également un coût d’opportunité important, car cette dernière aurait probablement rapporté beaucoup plus si elle avait été investie. C’est particulièrement vrai de nos jours alors que l’encaisse en banque rapporte typiquement un gros 0 % d’intérêt.
Or, je crois que de nombreux investisseurs gardent présentement une partie de leurs économies sur les lignes de côté. En effet, la hausse substantielle des marchés boursiers depuis l’avènement de la pandémie au début de 2020 en effraie plus d’un. Plusieurs se disent probablement qu’ils placeront leur encaisse (souvent substantielle) lorsque les marchés boursiers auront subi une forte correction.
Or, je vois au moins deux problèmes avec cette façon de voir les choses, qui s’apparente étrangement à la pratique de « market timing » :
- Nous pourrions avoir à attendre longtemps et le marché pourrait continuer à s’apprécier sensiblement avant qu’une correction ne survienne
- L’investisseur sera-t-il assez courageux pour investir toute son encaisse lorsque cette correction surviendra?
Mais le concept du « coût d’opportunité » est probablement l’argument le plus critique à considérer, surtout pour celui dont l’horizon de placement s’étale sur de nombreuses années. En effet, chaque mois et chaque année où ses économies ne sont pas investies dans les marchés boursiers auront un effet significatif sur la valeur éventuelle du fonds de retraite d’un investisseur.
Prenons un exemple : un investisseur âgé de 30 ans occupe un poste stable et bien rémunéré qui offre de belles perspectives de carrière à long terme. Il a accumulé des investissements d’une valeur de 100 000 $; 75 000 $ sont investis dans des actions nord-américaines et 25 000 $ sont conservés en encaisse depuis plusieurs mois… dans l’attente d’une correction du marché boursier.
Pour se faire une idée du coût d’opportunité potentiel résultant de la décision de conserver 25 % de son portefeuille en encaisse, comparons deux scénarios :
- L’investisseur continue d’attendre une correction d’au moins 20 % du marché boursier avant d’investir son encaisse. Or, cette correction tant attendue ne se produit pas avant trois ans, moment où notre investisseur investira la totalité de son encaisse dans le marché boursier. Après la correction, le marché boursier poursuivra sa progression à long terme et enregistrera un rendement annuel composé de 10 %. Je présume un rendement nul pour l’encaisse.
- Notre investisseur fait le grand saut et investit toute son encaisse immédiatement dans le marché boursier. Comme dans le scénario précédent, le marché boursier poursuit sa progression à un rythme annuel composé de 10 %, à l’exception de la troisième année, où il perd 20 % de sa valeur.
Combien vaudrait le fonds de retraite de notre investisseur dans 35 ans, au moment de sa retraite (en présumant aucun apport ni aucun retrait) pour chacun de ces scénarios?
Scénario 1: 2,06 M$
Scénario 2: 2,04 M$
Cette simulation démontre que, sur de nombreuses années, il est souvent peu avantageux de conserver une encaisse importante dans l’attente d’une éventuelle correction des marchés boursiers.
De plus, il y a des risques à tenter de synchroniser ses investissements avec les corrections du marché. D’une part, l’investisseur aura-t-il le courage d’investir la totalité de son encaisse après une baisse de 20 % du marché et alors que les manchettes seront sans doute fort pessimistes? D’autre part, rien ne dit qu’il sera assez rapide sur la gâchette pour investir au creux du marché. Rappelez-vous par exemple la rapidité à laquelle les marchés boursiers ont rebondi après leur correction de mars 2020.
À long terme, en raison du puissant phénomène des intérêts composés, le facteur « temps » devient plus important que celui du « timing ». C’est une des raisons pour lesquelles notre firme d’investissement a ajouté un « P » à sa devise des trois « P » qui est aujourd’hui : « prévoyance, prudence, patience et… présence ». En règle générale, le meilleur moment pour investir des dollars dont on n’aura pas besoin avant longtemps, c’est maintenant.