Mickel Robertson, le directeur général de la CDEPNQL (Photo: courtoisie)
ENTREPRENEURIAT AUTOCHTONE. Lorsque la Commission de développement économique des Premières Nations du Québec et du Labrador (CDEPNQL) a lancé un petit concours avec une bourse de 2500 $ pour stimuler l’entrepreneuriat autochtone l’hiver dernier, elle était loin de se douter de l’engouement que cela susciterait.
«On s’attendait à recevoir 20-30 candidatures, mais on a en reçu plus de 75, constate le directeur général de la CDEPNQL, Mickel Robertson. Cela nous a agréablement surpris.»
Il perçoit «un engouement» pour l’entrepreneuriat chez les membres des Premières Nations, particulièrement chez les femmes. Son équipe, qui vient en aide aux entreprises en démarrage, est d’ailleurs «submergée» de demandes.
La directrice générale de la Société de développement économique ilnu, Caroline Bouchard, fait le même constat dans sa communauté innue de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean. «On voit une effervescence très intéressante chez les femmes, note-t-elle. Depuis qu’on a mis en place des activités pour elles, on a vu le nombre de demandes d’aide pour démarrer une entreprise exploser.»
Ces initiatives sont souvent de petite ampleur et basées sur le travail autonome à domicile. «Mashteuiatsh était très axé sur la foresterie et la construction, mentionne Caroline Bouchard. C’étaient des métiers d’hommes. Maintenant, sur les tables à dessin, on voit beaucoup de projets concernant des services de santé, des soins corporels, des services culturels et d’artisanat.»
Le défi des infrastructures
Les futurs entrepreneurs autochtones font face à plusieurs défis, dont le manque d’espaces commerciaux au sein de la très grande majorité des communautés. «À Mashteuiatsh, c’est critique, déplore Caroline Bouchard. Il n’y a pas une semaine où on se fait demander un local commercial pour une petite entreprise, mais il n’y en a pas.»
Plus généralement, les infrastructures déficientes plombent l’entrepreneuriat autochtone partout au Québec. «Les jeunes n’ont pas peur de sortir de leur communauté pour étudier ou travailler, mais le problème, c’est de les rapatrier, affirme Mickel Robertson. L’absence de logement disponible ne les incite pas à revenir.»
Il souligne que la culture entrepreneuriale existe depuis longtemps chez les Premières Nations, car les rapports avec les Français lors de la colonisation tournaient autour du commerce. Cet élan ne s’est pas éteint, même si l’éloignement, le manque d’accès à l’eau courante et à des infrastructures technologiques comme l’Internet et un réseau cellulaire constituent autant d’obstacles.
Financement complexe
Quand vient le temps de se lancer en affaires, l’argent est le nerf de la guerre. Or, les membres des Premiers Peuples en ont vraiment moins que le reste de la population.
«La plupart des entreprises en démarrage au pays jouissent d’une aide financière familiale, explique la directrice pour les communautés autochtones et nordiques à Futurpreneur Canada, Joanne Norris. Mais les Premiers Peuples ne peuvent pas compter sur les avoirs des générations antérieures.»
Les programmes d’aide financière gouvernementaux destinés aux entrepreneurs autochtones sont «adéquats», selon Mickel Robertson. Il déplore cependant qu’ils soient souvent trop axés sur l’acquisition d’immobilisation – machinerie, bâtiments, etc. – et pas assez sur les fonds de roulement, le marketing ou la transition numérique.
La Loi sur les Indiens nuit aussi aux entrepreneurs vivant dans des réserves, car ils ne peuvent pas obtenir d’hypothèque sur leur maison ou leur terrain. Sachant que l’avoir majeurs de la plupart des Québécois est leur habitation, cela un constitue un handicap d’affaires important.
Il est également difficile pour ces entrepreneurs de contracter des prêts, car les biens de leur PME situés sur une réserve sont insaisissables par une institution financière, en vertu de la Loi sur les Indiens.
Ces deux formes de prêts peuvent être contournées avec l’aide d’une entente d’un tiers, notamment un conseil de bande qui devient en quelque sorte le représentant du prêteur. Néanmoins, cela complique l’accès au capital et fait en sorte qu’il est rare d’obtenir le taux le plus avantageux du marché.
Sortir de sa communauté
Fondamentalement local, l’entrepreneuriat des Premières Nations et des Inuit souffre d’isolement en raison de l’éloignement physique de nombreuses communautés, mais aussi à cause de barrières culturelles et de perceptions négatives de la part du reste de la population. «J’aime dire qu’en entrepreneuriat, le réseau, c’est tout», fait valoir Luis Cisneros, professeur titulaire et codirecteur de la base entrepreneuriale à HEC Montréal. Par conséquent, l’inclusion des Premières Nations dans l’écosystème d’affaires québécois est selon lui primordiale.
Il croit que l’accroissement des rencontres virtuelles durant la pandémie constitue un formidable tremplin. «C’est un bon moment de mettre les entrepreneurs autochtones en réseau virtuel, que ce soit par des conférences en ligne, du réseautage ou de la formation, souligne le professeur. La COVID-19 a brisé beaucoup de barrières ; cela a été un grand avantage.»
L’Internet suscite aussi beaucoup d’espoirs pour Mickel Robertson. «Mon rêve, c’est que les jeunes se forment en matière de commerce électronique, car ils pourraient conquérir le monde, dit le directeur général de la CDEPNQL. Mais cela va prendre du temps. C’est un chantier générationnel.»
La réconciliation avec les autochtones est sur toutes les lèvres au pays. Mais au-delà des mots, ces derniers veulent de l’action. L’entrepreneuriat est certainement une avenue pour nouer des liens plus solides avec l’ensemble de la population québécoise.