CHRONIQUE. La francisation des nouveaux immigrants est un lamentable échec au Québec. Les chiffres de la vérificatrice générale Guylaine Leclerc, divulgués il y a deux ans, sont sans appel :
> Seulement le quart des immigrants ne maîtrisant pas le français suivent des cours dans les deux années qui suivent leur arrivée.
> 90 % de ceux qui terminent les cours de français sont incapables de se débrouiller au quotidien en français.
> À l’écrit, c’est pire : 4 % réussissent alors un test de compréhension de texte, et 5 %, un test de rédaction.
D’où la ferme volonté du gouvernement de François Legault de corriger le tir sans tarder, à l’aide de multiples mesures évoquées par Simon Jolin-Barrette, le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, qui visent à forcer les nouveaux immigrants à se franciser :
> Priorité à l’obtention d’un visa de travail, et par suite à l’emploi, à ceux qui maîtrisent le français ;
> Hausse de l’allocation pour le suivi de cours de français ;
> Prolongation de la gratuité des cours du ministère au-delà des cinq premières années au Québec.
Ces mesures bénéficient d’une enveloppe budgétaire annuelle de 146 millions de dollars sur une période de cinq ans, alors que celle-ci avait été de 74 M$ en 2016-2017 sous le gouvernement précédent. L’objectif est double : « Favoriser l’intégration des immigrants à la société québécoise, en particulier au marché du travail » et « élargir l’accès à tous les immigrants, y compris les travailleurs étrangers temporaires, aux programmes d’intégration et de francisation ».
L’intention est louable, reconnaissons-le. Le hic, c’est qu’une telle politique est vouée à l’échec. Irrémédiablement. Explication.
Vasiliki Fouka est professeure de science politique à l’Université de Stanford. Elle s’est intéressée au sort de la communauté allemande aux États-Unis à partir de 1917, l’année où les États-Unis sont entrés en guerre contre l’Allemagne, lors de la Première Guerre mondiale. Nombre d’États américains ont alors carrément banni l’allemand et ont imposé des cours d’anglais aux nouveaux arrivants, dans l’optique de forcer l’assimilation des germanophones.
Qu’a donné cette politique ? Ceci :
> Les membres de la communauté allemande se sont davantage mariés entre eux ;
> Ils ont davantage donné un prénom allemand à leurs enfants ;
> Ils ont été très peu nombreux à se porter volontaires pour combattre dans les Forces armées des États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale.
Bref, la communauté allemande a eu le réflexe de se replier sur elle-même, et non pas de s’ouvrir à la société américaine. L’effet a été totalement contraire à ce qui avait été anticipé.
Prenons un autre cas concret. En 1998, la Californie gouvernée par les Républicains a adopté la Proposition 227, qui supprimait tout bilinguisme dans son système scolaire, l’objectif implicite étant de forcer l’assimilation des Latinos. La majorité des Américains de Californie craignaient alors d’être submergés par la vague croissante d’immigrants venus d’Amérique latine…
L’impact a été double, selon nombre d’études récentes à ce sujet : d’une part, la proposition 227 n’a aucunement « boosté » l’anglicisation des Latinos, n’ayant eu à cet égard aucun effet significatif ; d’autre part, elle a transformé politiquement les Latinos, eux qui étaient jusqu’alors majoritairement Républicains et qui sont devenus depuis farouchement Démocrates, en guise de représaille. De fait, les enfants sont réputés être des éponges pour les langues, mais il faut savoir qu’ils le sont aussi pour la politique : si les parents ont une dent contre un parti, leurs bambins ont toutes les chances de l’avoir à leur tour, à l’avenir…
En 2016, les élus californiens – tous bords confondus – ont massivement aboli la proposition 227. Car le constat était devenu clair pour tout le monde : forcer l’anglicisation est une lourde erreur.
Convient-il donc de laisser tomber la francisation au Québec ? Non, bien entendu, mais il ne faut surtout pas la forcer, comme l’entreprend le gouvernement Legault. Car il n’y a rien de mieux pour braquer les nouveaux venus.
Ce qu’il faut, c’est taper sur un autre clou, comme cela a été évoqué lors du dernier Forum économique international des Amériques, qui s’est tenu en juin à Montréal. « Le taux de chômage des natifs du Québec avoisine les 4 %, tandis que celui des nouveaux immigrants dépasse les 10 %. Ce n’est pas normal. C’est le signe que les employeurs québécois refusent de piger dans le bassin de main-d’oeuvre des immigrants, même si ça leur est nécessaire en cette période de pénurie », a dit Michel Bergeron, chef, direction stratégique, de la Banque de développement du Canada (BDC).
Et d’ajouter : « D’ailleurs, une récente étude de la BDC a montré que seulement 6 % des PME d’ici recouraient à l’immigration pour tenter de pourvoir leurs postes ».
Autrement dit, la solution n’est pas de contraindre les immigrants à se franciser, mais bel et bien d’ôter les oeillères des employeurs québécois ! L’idée, c’est de leur faire comprendre tout ce qu’ils perdent à dénigrer les talents venus d’ailleurs : les contrats refusés faute de pouvoir les remplir ; la croissance qui en est freinée ; etc. Puis, de leur montrer combien tout ça changerait par le simple fait de s’ouvrir à la différence.
Et si le gouvernement Legault contraignait – puisqu’il semble chérir cette méthode – les entreprises à diversifier leurs talents… Cela ne changerait-il pas certaines mentalités ?
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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