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GESTION DE PORTEFEUILLE 4.0. En mai 1997 a eu lieu le match revanche d’échecs en six parties entre Garry Kasparov et l’ordinateur Deep Blue, dont le programme avait été amélioré après sa défaite l’année précédente. Pour la première fois de l’histoire, le champion du monde s’inclina contre une machine qui mesurait à l’époque 1,80 m, pesait 1,4 tonne et nécessitait 20 personnes pour fonctionner ! Cette victoire, bien que contestée à l’époque, annonçait le début d’une ère nouvelle pour les machines et l’intelligence artificielle.
Près d’un quart de siècle plus tard, les algorithmes sont maintenant partout. Dans le monde de la gestion de portefeuille, l’intelligence artificielle est principalement utilisée dans la gestion des risques et des transactions, plus de 80 % du volume quotidien de la Bourse étant maintenant effectué par des algorithmes. Toutefois, selon l’Institut Alan Turing, seulement 9 % des fonds spéculatifs disent utiliser l’intelligence artificielle pour la sélection des titres et la génération d’idées de placement.
Les rendements
Quels sont les résultats ? Il est encore tôt pour conclure. La firme Cerulli Associates rapportait en mai 2020 un rendement moyen sur trois ans de 34% pour les fonds utilisant l’intelligence artificielle, soit presque trois fois mieux que celui de leurs indices de référence.
L’indice EurekaHedge AI Hedge Fund prétend le contraire, notant une sous-performance d’environ 1,5 % annuellement contre l’indice de référence. Et le fonds de couverture considéré par plusieurs comme étant le plus performant de l’histoire, le fonds Medallion de Renaissance Technologies, frappe aussi l’imaginaire. En effet, le pionnier des algorithmes Jim Simons a offert à ses investisseurs, de 1988 à 2019, un rendement annuel moyen de 66 %, loin devant les Warren Buffett, George Soros, Peter Lynch et Ray Dalio. Le temps des machines est-il arrivé à Wall Street ? Il faut d’abord définir celles-ci. Nous faisons ici référence à l’apprentissage automatique (ou machine learning) qui permet aux ordinateurs d’apprendre sans avoir été au préalablement programmés spécifiquement à cet effet. Cet apprentissage nécessite des mégadonnées étant donné que pour apprendre et se développer, les machines ont besoin de flux de données considérables à analyser.
Les machines n’ont pas d’ego
Les avantages d’utiliser l’intelligence artificielle sont nombreux. D’abord, la «machine»n’a pas d’ego, d’aversion à certains titres ni de doctrine de placement. Elle admet ses erreurs continuellement pour ensuite les corriger et améliorer les algorithmes le jour suivant. La puissance de calculs n’a pas d’équivalent chez l’humain, avec plus de 10 500 instruments financiers analysés et des millions de calculs effectués quotidiennement.
Pour les adeptes de l’analyse fondamentale, les machines scrutent quotidiennement les états financiers de milliers de sociétés à capital ouvert, analysant les profits, l’endettement, les parts de marchés, etc. Pour les disciplines de l’analyse technique, des centaines de facteurs, dont les moyennes mobiles, le volume et les niveaux de support et de résistance sont continuellement intégrés à l’algorithme.
La machine est cependant aussi «créative»et génère constamment de nouvelles idées pour ensuite les tester en utilisant sa vaste base de données. Par exemple, elle peut suivre les plateformes de médias sociaux pour détecter des occasions de placement, ce qu’elle a fait en 2020 avec GameStop (GME, 167,52 $US) et AMC Entertainment Holdings (AMC, 27,47 $US). Elle peut tenter de croiser le prix du bitcoin avec ceux des banques américaines pour trouver une nouvelle relation augmentant la fiabilité de ses modèles sur la cryptomonnaie Etherum. Ou encore, elle peut analyser le volume d’achats d’initiés dans une industrie particulière pour anticiper une nouvelle cible d’acquisition hostile.
L’algorithme choisit aussi des titres malaimés; il a détecté Bombardier (BBD.B, 1,70 $), en mars 2021, qui se négociait alors à 0,66 $, délaissé depuis longtemps par nombre d’investisseurs. Finalement, la machine excelle encore plus sur les indices boursiers, avec des taux moyens de réussite de 97,2 % sur ses prévisions sur les principaux indices américains sur un an.
Les inconvénients
Même si l’émotion doit être mise de côté, l’intervention humaine nous paraît encore nécessaire. La sélection des titres de la machine doit être intégrée à une solide structure de portefeuille, de la fréquence de rotation et du nombre de titres, notamment.
Ensuite, les algorithmes sont opaques et souvent influencés par le momentum récent d’un titre, ce qui peut créer de faux signaux d’achat. Même dans le cas d’une recommandation solide, tous les investisseurs ne se sentiraient pas capables d’acheter un titre tel que Nuvista Energy Ltd (NVA, 6,25 $) après une hausse de plus de 600 % depuis le début de l’année. Finalement, l’algorithme n’est pas à l’abri de l’intervention humaine, comme la nouvelle réglementation du secteur des technologies en Chine, les élections américaines ou un éventuel scandale financier.
EXPERT INVITÉ
Richard Langevin, vice-président et gestionnaire de portefeuille à Nymbus Capital