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Les Autochtones subissent encore le poids du passé

Mélanie Paul|Publié le 25 mai 2021

Les Autochtones subissent encore le poids du passé

(Photo: Sebastian Unrau, Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Lorsque l’automne arrivait, les habitants de mon pays aux frontières invisibles partaient vers le nord avec leur fragile canot d’écorce. 

Un long voyage à parcourir le territoire à travers lequel ils se reconnectaient à la nature. Ils allaient trapper et chasser afin de nourrir et vêtir leur famille, en plus de faire quelque réserve de fourrures qu’ils vendaient à leur retour au printemps.  Le peuple de mon petit pays aux frontières invisibles ainsi que ceux des autres petits pays étaient pour la plupart nomades. Ils ont parcouru les forêts et les cours d’eau durant des millénaires, familles, parents et enfants se déplaçaient avec leurs bagages et leur campement sur le dos.  La vie pour eux était calme et douce, même si parfois, ils devaient affronter les grands froids et les tempêtes hivernales. C’est une fois de plus l’entraide et leur résilience qui l’emportaient.

Pendant plusieurs années, les habitants des petits pays aux frontières invisibles ont contribué à l’enrichissement de la Reine par la vente de leurs fourrures.  À cette même époque, les « blancs », comme on les appelait, buchaient et cultivaient la terre. Ils construisaient des routes, des chemins de fer et des maisons qui, peu à peu, ont non seulement envahi le territoire des autochtones, mais ont aussi contribué à les confiner dans leurs réserves.  Les autochtones ont dû complètement changer leur mode de vie, pour adopter celui que la Reine leur imposait.

C’est à travers sa Loi sur les Indiens que la Reine des petits pays sans frontières avait aussi décidé que tous les enfants autochtones devaient aller dans les pensionnats qu’elle avait construits pour eux.  Chaque année, à l’automne les gens du clergé et les autorités traversaient les frontières invisibles des petits pays afin de s’emparer de tous les enfants âgés de  5 à 18 ans. Ils les emmenaient se faire « éduquer » dans les pensionnats. Les parents demeuraient impuissants et démunis, « emprisonnés » dans leurs pays sans frontières face au silence et au vide qui avaient remplacé l’écho des rires de leurs enfants.

Pourriez-vous un instant vous imaginer le président du pays voisin qui arrive à vos portes et vous obliger à lui « donner » vos enfants afin qu’il aille les « éduquer » dans une autre langue sous peine de sanction, dans des conditions misérables et ce, pendant des mois et des années? Sans même savoir si vous les reverrez, parce que vous savez, certains parents de nos communautés n’ont jamais revu leurs enfants.

Ce sont des générations qui ont été détruites par le manque d’amour, la tristesse, la peur, les traumatismes, la violence, les abus et les suicides et des liens affectifs brisés à jamais. Ce sont des milliers de parents qui ont perdu une partie de leur âme, des milliers d’enfants qui ont perdu leur enfance et un peuple qui a perdu son identité.

Michèle Audet, ex-commissaire pour l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, a vu et entendu plusieurs témoignages à travers lesquels elle a pu constater les séquelles sociales et par le fait même économique qui sont encore présentes aujourd’hui.  « L’empreinte laissée par l’héritage des pensionnats indiens et des politiques d’assimilation fait encore beaucoup de mal dans nos communautés, m’a-t-elle écrit.  Nos grands-parents, nos parents et les nouvelles générations continuent de subir les effets de la marginalisation économique et sociale des Premières Nations.  Ces politiques encore appliquées paralysent notre participation au développement économique. Non seulement parce que nous sommes encore considérés comme des mineurs devant la Loi sur les Indiens, mais aussi autour des capacités juridiques de cautionner les entrepreneurs. »

Personnellement, étant jeune, j’ai souvent vu mes parents ouvrir leur porte à des gens dans le besoin et qui souffraient. Mon père prenait toujours le temps d’écouter, je l’ai vu donner, je l’ai vu réconforter, je l’ai vu encourager ces personnes en détresse.  Je sais qu’à travers leurs yeux, ce que mon père voyait au-delà de leur état de consommation, c’était leur cœur, leur vide intérieur. Il voyait des hommes et des femmes, qui ne voulaient pas des sous pour boire, mais un baume sur leur souffrance.

Il est certain que l’histoire a eu et a encore un impact sur nos communautés. Mais aujourd’hui, le pont entre le monde social et le monde économique, je le vois très bien. Lorsque nous créons des emplois, lorsque nous prenons conscience de l’impact que nous pouvons avoir sur la vie des personnes qui nous entourent et que nous utilisons notre rôle d’entrepreneur pour les soutenir, les accompagner et les encourager, nous contribuons à les aider à se sortir de la pauvreté et de la souffrance. Nous leur redonnons leur fierté et l’espoir de pouvoir réaliser leurs rêves.