Sokchiveneath Taing Chhoan, directeur principal pour le développement socio-économique à la FCNQ (Photo: courtoisie)
ENTREPRENEURIAT AUTOCHTONE. Saviez-vous qu’il existe un regroupement coopératif québécois unique au monde qui œuvre tout autant comme véhicule culture et d’épargne que comme service essentiel et moteur économique?
Non, il ne s’agit pas de Desjardins, mais bien de la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec (FCNQ), qui rassemble les 14 coopératives de chacune des communautés du Nunavik.
Selon son bilan consolidé de 2020, la FCNQ a retourné 21,3 millions de dollars (M$) à ces coopératives qui desservent quelque 12 000 habitants du Grand Nord québécois. Les membres individuels se sont ainsi partagé 8,6 M$ l’an dernier.
«On suggère de verser la moitié comptant et l’autre en part social, qui peut être encaissé à partir de 55 ans. Le membre peut ensuite en retirer jusqu’à 10 % par année par la suite», précise Sokchiveneath Taing Chhoan, directeur principal pour le développement socio-économique à la FCNQ.
«C’est une forme de pension, ajoute-t-il. Certains membres accumulent jusqu’à 60 000 $. S’ils ne le dépensent pas, ils peuvent le léguer en héritage.» Considérant que la majorité des Inuits n’ont pas de compte de banque, cette épargne est une bénédiction.
La FCNQ est présente partout dans l’économie de sa région – le tourisme, la distribution de produits pétroliers, la construction, le transport, etc. Au total, la FCNQ exploite 10 filiales séparées qui sont toutes incorporées. D’après Sokchiveneath Taing Chhoan, le fait de compartimenter ces activités réduit les risques si un des secteurs connait des problèmes, sans toutefois empêcher le rassemblement de services communs.
«On est le mini dragon du Québec, dit-il. L’infrastructure coûte tellement cher, donc c’est mieux de se regrouper. On gère par exemple le système de paie des 14 coopératives locales.»
Anne-Marie Merrien, chercheuse et chargée de cours à l’Institut de recherche et d’éducation pour les coopératives et les mutuelles de l’Université de Sherbrooke (Photo: courtoisie)
Ce responsable de la FCNQ vante aussi le partage de connaissances que permet le modèle coopératif, ce que confirme Anne-Marie Merrien, chercheuse et chargée de cours à l’Institut de recherche et d’éducation pour les coopératives et les mutuelles de l’Université de Sherbrooke. «C’est un lieu d’apprentissage extrêmement important, avance-t-elle. Beaucoup de leaders du Nunavik ont commencé dans des coopératives, qui sont devenues en quelque sorte des écoles.»
En plus de fournir du travail, de répondre à des besoins et de garder les fonds localement, les coopératives du Nord jouent un rôle d’affirmation de l’identité inuite au Québec. «On peut être unilingue inuktitut et analphabète et avoir un emploi, donc c’est un lieu de reconnaissance extrêmement important», précise celle qui a fait un doctorat sur les coopératives du Nunavik.
Se mobiliser avec une coopérative
Face aux eaux troubles de la baie James, des Cris de cette région québécoise n’ont pas hésité à fonder une coopérative touristique pour prendre le large. C’est ainsi qu’a été lancé l’an dernier la Coopérative de solidarité Wiinipaakw Tour qui offre des sorties en bateau, des tentes prêtes à camper pour héberger des touristes et des activités culturelles à partir des villages de Waskaganish, Eastmain et Wemindji.
«Avec l’achat de deux navires pouvant aller loin, de deux édifices préfabriqués et du siège social, c’était un projet bien trop gros pour une seule personne, explique la trésorière de l’organisation, Robin McGinley. Cela concerne aussi plusieurs communautés, donc c’est pour cela qu’on a décidé de fonder une coop.»
En regroupant des travailleurs comme les capitaines de bateau et le personnel administratif, mais également des usagers et des organisations tels les conseils de bande, les sociétés locales de développement économique ou de promotions touristiques, cette structure réunit ceux qui travaillent ensemble pour que Wiinipaakw Tour devienne un succès.
Ce projet illustre plusieurs avantages des coopératives pour des autochtones : un démarrage sans mise de fonds, l’engagement de la communauté et la collaboration.
«On est dans une approche de prise en charge par eux-mêmes, explique Evan Murray, directeur régional pour Lanaudière, l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-du-Québec de la Coopérative de développement régional du Québec. Ils ne demandent pas au gouvernement de prendre en charge leurs besoins, ils vont le faire eux-mêmes.»
Celui qui accompagne les Québécois qui veulent fonder des coopératives précise que la démarche n’est pas vraiment différente chez les autochtones. «On n’évalue pas la rentabilité, mais la viabilité du projet, souligne-t-il. La priorité, ce n’est pas la création de la richesse, mais la réponse aux besoins des membres de la coopérative. On s’assure seulement qu’elle fasse ses frais et qu’elle puisse avoir un petit cousin pour survivre.»
Faire vivre sa culture
Anne-Marie Merrien souligne que les coopératives ont «la grande force de s’adapter à la réalité locale». Elles siéent donc parfaitement aux communautés autochtones qui valorisent généralement beaucoup le bien commun.
La chercheuse note que ce type d’organisations se retrouvent dans tous les domaines, que ce soit l’industrie forestière, le tourisme, les soins à domicile, l’artisanat, etc. «Les coops peuvent constituer un levier pour reprendre son développement et son avenir, fait-elle valoir. C’est un outil économique dont les impacts sont politiques, sociaux et culturels.»
Pour les Cris, Wiinipaakw Tour fait ainsi d’une pierre deux coups. «Développer le tourisme est un excellent moyen de préserver nos traditions et notre culture et de les partager, mentionne Robin McGinley. Le tourisme, c’est plus que des dollars, c’est de rendre les gens fiers de ce qu’ils sont et ce qu’ils peuvent accomplir.»