Université Yale, au Connecticut (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. On peut définir un actif comme étant alternatif lorsque sa courbe de rendement espérée est différente de celle des actions ou des obligations. Ainsi, lorsqu’un actif alternatif est ajouté à un portefeuille traditionnel, le risque inclus dans celui-ci est habituellement diminué sans que cela n’affecte négativement sa performance à long terme.
Le réseau de distribution financier classique canadien et québécois ne permet présentement malheureusement pas aux investisseurs de pleinement profiter de ces portefeuilles plus efficients. Cependant, les grandes institutions ont rapidement intégré cette approche lors de la construction de leur portefeuille de placement.
Le pionnier de l’intégration d’actifs alternatifs à la gestion de portefeuille est certainement David F. Swensen, responsable de la gestion de l’immense fondation de l’Université Yale, au Connecticut, de 1985 jusqu’à sa mort, en mai dernier. Swensen commence sa carrière à Wall Street chez Salomon Brothers et Lehman Brothers, où il devient rapidement un expert des produits dérivés, notamment les « swap » bimonétaires.
C’est en 1985, à l’âge de 31 ans, qu’il se voit confier la direction de la gestion financière de la fondation qui vaut alors autour de 1 milliard de dollars (G$). Il est fortement recommandé par son mentor et lauréat du « prix Nobel d’économie » de 1981, James Tobin, l’un des piliers de la théorie moderne du portefeuille.
Il révolutionne alors l’approche traditionnelle en prenant trois grandes décisions.
- Il s’éloigne des catégories d’actifs qui ont historiquement été peu performantes, comme les obligations et les matières premières.
- Il favorise une grande diversification des catégories d’actifs du portefeuille en intégrant les marchés émergents, les stratégies à rendement absolu, l’immobilier, les placements privés et le capital de risque.
- Il n’hésite pas à investir dans des actifs très peu liquides afin de profiter de la prime de temps.
Alors que les actions américaines et les titres à revenu fixe constituaient plus de 75 % du portefeuille dans les années 1980, ils en représentaient moins de 10 % à la fin de l’exercice 2021, terminé le 30 juin:
Titres à rendement absolu | 23,5% |
Capital de risque | 23,5% |
Acquisitions par emprunts | 17,5% |
Actions étrangères | 11,75% |
Immobilier | 9,5% |
Titres à revenu fixe et espèces | 7,5% |
Ressources naturelles | 4,5% |
Actions américaines | 2,25% |
Source : YaleNews, octobre 2021
Évidemment, on ne parlerait pas de révolution si le rendement n’avait pas été exceptionnel. Au cours des 20 dernières années, le rendement a été de 11,3 % par année, comparativement à 7,7 % pour la moyenne des collèges américains. Durant cette période, la valeur des actifs sous gestion de la fondation est passée de 10,7 G$ à 42,3 G$ après avoir effectué des versements de 19,4 G$ au budget de fonctionnement de l’université.
Il est étonnant ici de constater que cette approche performante est diamétralement opposée à celle proposée et utilisée par plusieurs conseillers financiers. En effet, il n’est pas rare de voir actuellement des portefeuilles composés presque exclusivement d’actions nord-américaines. C’est évidemment dû en grande partie au fait que cette catégorie d’actif est facilement accessible et a été l’une des plus performantes au cours de ce marché haussier qui dure depuis maintenant plus de 12 ans.
On peut utiliser de simples mathématiques pour comprendre l’avantage indéniable d’un portefeuille composé de catégories d’actifs non parfaitement corrélés. Prenons par exemple deux rendements hypothétiques sur trois ans.
Exemple 1 (portefeuille moins volatil) :
An 1 | 8% |
An 2 | 12% |
An 3 | 10% |
Rendement moyen | 10% |
100 000 $ investi vaut | 133 056$ |
Exemple 2 (portefeuille plus volatil):
An 1 | 25% |
An 2 | -10 % |
An 3 | 15 % |
Rendement moyen | 10 % |
100 000 $ investi vaut | 129 375$ |
Le rendement moyen n’est donc pas la seule variable importante pour maximiser son rendement et c’est la grande beauté de la diversification. Il est donc tout aussi important de minimiser le risque global du portefeuille afin de maximiser son rendement.
Prenons l’exemple de la stratégie à rendement absolu, qui est présentement la plus importante dans le portefeuille de la fondation de Yale. Dans une stratégie de rendement absolu, le gestionnaire pose des gestes qui n’auront pas d’influence sur le rendement, peu importe la performance du marché boursier. Il peut, par exemple, acheter des actions de Coca-Cola (KO, 53,95 $ US) et vendre à découvert des actions de PepsiCo (PEP, 158,64 $ US). Il pourrait aussi acheter un panier de titres et vendre à découvert l’indice de référence.
Cette catégorie d’actif a été la moins performante du portefeuille au cours des 20 dernières années. Mais toute son utilité tient au fait que cette stratégie est sans contredit la plus appropriée dans le cadre d’un marché baissier ou même d’un krach boursier, comme en 2008-2009, ou en février-mars 2020.
Comme dans notre premier exemple, elle permet de réduire grandement la perte subie et donc de diminuer le risque du portefeuille quand il en a le plus besoin. Une moins grande volatilité des résultats, surtout à la baisse, permet un enrichissement supérieur à long terme.
Comme je l’ai mentionné au départ, je suis très conscient que l’investisseur moyen n’a pas les outils pour se construire un portefeuille comme Swensen l’a fait à Yale. En revanche, il peut facilement s’assurer que son portefeuille n’est pas exposé à une seule catégorie d’actif. Il est également de sa responsabilité d’en discuter avec son conseiller, car il existe heureusement de plus en plus de fonds alternatifs disponibles.