(Photo: 123RF)
INDUSTRIE DES SPORTS D’HIVER. Qui aurait cru que les boutiques de plein air du Québec seraient un jour à court de paires de skis de fond, de raquettes et autres accessoires de sports d’hiver avant même que ne tombe le premier flocon de neige ? Les commerçants, fabricants et distributeurs en ont eux-mêmes été surpris à l’automne 2020.
« En 25 ans, je n’ai jamais vu une telle demande pour ces activités. Et ce n’est pas fini. Plus de 40 % de la marchandise de ski de fond que nous vendons généralement dans une saison s’est envolée depuis le 30 septembre dernier. Les gens ne veulent pas se faire prendre cette saison. Ils achètent tôt. C’est complètement fou », soulève Daniel L’Écuyer, vice-président d’Oberson, une entreprise familiale qui détient deux magasins, soit à Laval et Brossard. Discret sur son chiffre d’affaires, le commerçant reconnaît que ses ventes globales ont augmenté de 30 % malgré les ruptures de stock.
Modèle d’affaires modifié
Cette frénésie pour les accessoires de plein air n’est pas sans chambouler les modèles d’affaires au sein de l’industrie. « Avant, on pouvait payer la marchandise plus tard dans la saison. On pouvait également commander à nouveau des vêtements et des accessoires selon la demande des consommateurs. Depuis l’automne 2020, tout a changé », signale le commerçant.
Non seulement les boutiques doivent commander ce qu’elles prévoient vendre dans la saison au moins un an à l’avance, dit-il, elles doivent désormais payer les fournisseurs au moment de la commande. « Le fardeau de l’inventaire repose désormais sur les épaules des détaillants et non plus sur celles des fabricants. C’est nous, maintenant, qui devons détenir la boule de cristal entre les mains. Une situation qui semble d’ailleurs vouloir devenir la norme dans de nombreux secteurs. »
Une tempête parfaite
Le soudain enthousiasme des consommateurs québécois pour la pratique des activités hivernales s’explique, certes, en partie par la pandémie. Après avoir été confinés, les gens veulent jouer dehors. D’autres facteurs ont néanmoins contribué à ces ruptures de stock inhabituelles. L’incendie de l’usine du fabricant autrichien Fischer, en Ukraine, survenue en novembre 2020, en est un. Cette manufacture de ski de fond, qui fabrique plus d’un million de paires par année, est la plus importante d’Europe ; elle produit également les marques Scott, Stöckli, Hagan et Alpina.
S’ajoute également la flambée des prix dans les transports, enchaîne Larry Nardone, président de Sports Dinaco, un distributeur de plusieurs marques d’équipements de sports, dont les bâtons Leki. « Le conteneur provenant de l’Europe qui coûtait 4500 $ avant la pandémie en coûte actuellement près de 20 000 $, indique-t-il. Et ceux dont les produits et vêtements sont fabriqués en Asie ont vu le prix du conteneur passer de 6500 $ à plus de 25 000 $. »
Ce distributeur, qui approvisionne plus de 700 commerçants en Amérique du Nord depuis 1974, a vu, pour la première fois, son stock fondre comme neige au soleil l’hiver dernier. « Jamais notre entrepôt n’avait paru aussi vide qu’en mars dernier ! »
La pénurie de main-d’œuvre dans les boutiques, dans les entrepôts de logistique ainsi que dans les usines de fabrication vient aussi brouiller les cartes. « Nous avons placé des affiches à l’entrée de nos boutiques », poursuit Daniel L’Écuyer. Ces panneaux avisent les consommateurs que les employés vont faire leur possible pour servir la clientèle, mais qu’en raison du manque de personnel, il se peut que le service ne soit pas optimal, indique le commerçant qui emploie généralement au moins 150 personnes sur le plancher. Depuis plus d’un an, il peine à en trouver 130. « Pourtant, on voyait venir cette situation. La pandémie nous l’a fait éclater en pleine figure. »
Des hausses de prix à venir
Le fabricant montréalais Kombi, qui produit près de trois millions de paires de gants d’hiver par année, n’a enregistré ni pertes ni gains au cours de la dernière année. « Ce qui relève d’un exploit », soutient Pierre Langlois, vice-président de l’entreprise. Outre son approvisionnement qui vient de l’Asie, le fabricant a dû composer avec les fermetures de stations de ski en Ontario et en Europe.
« Le prix régulier de nos gants ne sera pas encore affecté pour la présente saison. « Mais dès l’automne 2022, les consommateurs devront s’attendre à des hausses d’au moins 5 %, voire de 10 % sur l’ensemble des produits », estime l’équipementier.
À ce propos, les consommateurs qui avaient l’habitude d’attendre le Vendredi fou ou le lendemain de Noël pour faire leurs emplettes risquent d’être fort déçus, avertit Daniel L’Écuyer. « Non seulement les aubaines ne seront sans doute pas aussi alléchantes, la plupart des accessoires qu’ils convoitent seront probablement déjà tous vendus. »