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Les infirmières asphyxiées par la charge de travail

Rhéal Desjardins|Publié le 24 septembre 2021

Les infirmières asphyxiées par la charge de travail

(Photo: Vladimir Fedotov pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. La réalité du réseau de la santé au Québec me fait penser à un étau que deux mâchoires compressent au point de l’asphyxier.

Imaginez-vous que la mâchoire de gauche de l’étau représente l’environnement externe du réseau : le sous-financement imposé par le gouvernement depuis plus de 30 ans, la pandémie de COVID-19, le vieillissement de la population, la pénurie de main-d’œuvre, etc. En ce qui a trait à la mâchoire de droite, imaginons qu’elle représente l’environnement interne : le climat de travail peu propice à la sécurité psychologique, le temps supplémentaire obligatoire (TSO), l’absentéisme chronique, les manquements évidents associés à la stabilité de main-d’œuvre, les problèmes de sous-effectifs, etc.

J’ai beaucoup travaillé dans le réseau de la santé, notamment au sein de CLSC, de CHSLD, de résidences pour personnes âgées, de centres hospitaliers, à la régie régionale, etc. J’y suis intervenue avec presque toujours un sentiment d’impossibilité d’y changer quoi que ce soit. Par ailleurs, dans un contexte où il manque actuellement 4 000 infirmières, il est peut-être pertinent de vous faire part d’une analyse que j’y ai effectuée dans le passé au niveau de l’organisation du travail.

J’ai exécuté plusieurs exercices de calibrage de poste dans les établissements du réseau de la santé et certains de ceux-ci furent réalisés auprès d’infirmières cliniciennes. Un exercice de calibrage de poste consiste à prendre une photo, sur une période plus ou moins longue, de la charge et de la répartition du temps de travail d’une infirmière. Ressort de ce type d’exercice un bilan du temps qu’elle consacre, par exemple, à intervenir directement auprès de patients ou le temps qu’elle passe en comité interdisciplinaire. Associé au concept de l’organisation du travail, il y a un élément fort important à prendre en considération, soit la proportion d’un emploi associée à des tâches de type main-d’œuvre indirecte, ainsi que le taux de ce même emploi consacré à des tâches de type main-d’œuvre directe.

Mes exercices de calibrage de poste auprès d’emplois d’infirmière clinicienne m’ont tous démontré qu’elles dédient plus ou moins 50 % de leur temps à des patients (directe) et plus ou moins 50 % de leur temps en comité ou à compléter des dossiers et des formulaires (indirecte). Tous ceux connaissant les principes que j’aborde ici savent bien qu’un pourcentage de 50 % du temps de travail consacré à des tâches de type main-d’œuvre indirecte pour une infirmière clinicienne est non fonctionnel.

Un dentiste qui consacrerait 50 % de son temps à des tâches autres que de traiter ses clients sur ses heures de travail ferait faillite. Un médecin de famille qui consacrerait 50 % de son temps à des réunions avec son personnel ne serait pas rentable. Un programmeur dans une firme techno qui consacrerait 50 % de son temps à d’autres types de tâches que de programmer serait rapidement stabilisé. Il en va de même pour tous les emplois de type opérationnel et professionnel. Loin de moi le désir de faire quelques reproches aux infirmières cliniciennes. Elles sont captives d’une organisation du travail qu’elles n’apprécient guère, pour la plupart d’entre elles, car ce type d’organisation fait en sorte que très peu de temps est consacré aux patients. L’objectif d’un « recalibrage » du temps de travail des infirmières cliniciennes n’est pas qu’elles consacrent 100 % de leur temps à des tâches de type main-d’œuvre directe. Pour tous les emplois de type professionnel, c’est irréaliste. L’objectif serait plutôt qu’elles y consacrent 80 % de leur temps, ce qui est une norme pour les professionnels.

En prenant en considération ces notions, nous pourrions diminuer de façon substantielle, soit du tiers, le nombre d’infirmières cliniciennes nécessitées en ce moment. Par ailleurs, dans le contexte actuel asphyxié par l’étau, une question importante reste en suspens : les directions des organisations du réseau de la santé, en collaboration avec leur personnel, pourraient-elles orchestrer un tel changement ?

En conclusion, comprenez bien qu’un recalibrage de poste qui permet de prioriser le temps consacré à des tâches de type main-d’œuvre directe n’occasionne aucune surcharge de travail lorsqu’il est bien fait. Par ailleurs, il permet, pour les passionnées de leur emploi, une résurgence de leur vocation.