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Les investisseurs en cryptos sont moins «sentimentaux»

François Remy|Publié le 19 février 2024

Les investisseurs en cryptos sont moins «sentimentaux»

LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.

(Illustration: Camille Charbonneau)

Pas question ici de rattraper tardivement la thématique de la Saint-Valentin mais bien de s’intéresser à la dynamique des cours sur les marchés. Plus précisément, les facteurs qui influencent la formation des prix. Et contre toute attente, en ce qui concerne les crypto, les émotions laisseraient place aux fondamentaux.

«Le casse-tête sentimental du rapport entre crypto et actions». Par cette terminologie fleurie, la récente étude de l’Université du Colorado aborde une dynamique fascinante dans le paysage financier. Au travers de son analyse extensive des données historiques et des tendances de marché, le professeur de finance Yosef Bonaparte montre que «les fondamentaux de la chaîne de blocs guident plus fortement la trajectoire boursière du bitcoin», tandis que la bourse danse au rythme de facteurs d’influence émotionnelle, aux sons des décideurs politiques ou des conditions macroéconomiques.

Comprendre cette dualité ressort cruciale pour les investisseurs qui évoluent dans cet environnement intriqué des marchés financiers traditionnels et émergents. Il s’agit d’une enrichissante leçon en soi, car elle va à l’encontre des attentes conventionnelles. Cela soutient d’ailleurs l’hypothèse selon laquelle une dynamique unique soit à l’œuvre sur le marché crypto. Autrement formulé, si les actions et les cryptoactifs coexistent, ils répondent à des forces de marché distinctes.

Le système financier traverse une métamorphose avec «l’émergence» de cette jeune classe d’actifs numériques. Reconnues comme un domaine façonné par les investisseurs particuliers, les cryptomonnaies, emmenées par le BTC, seraient censées exhiber une sensibilité accrue aux sentiment et momentum des marchés.

À l’heure où les crypto ont retrouvé une capitalisation de marché de près de 2 000 milliards de dollars américains, les détracteurs de ces «monnaies virtuelles» crient à la cantonade les dangers du piège émotif de la spéculation. Le piège de la spirale haussière se refermant sur les foules de nouveaux acheteurs, ces victimes consentantes dopées par des excitations passagères et des comportements mimétiques face aux chiffres qui s’affolent. Pour chaque bitcoin acheté à 50 000 $US, n’y a-t-il pas un vendeur qui empoche de bons vieux billets verts ?

Plus qu’un attrape-nigaud spéculatif ? Un sensationnel «piège à cons» dont la presse se tiendrait complice. «La couverture médiatique peut avoir une grande influence sur sa valeur, et ce, sur une courte période, sans qu’aucun organisme ou mécanisme officiel n’encadre cette variation», aime à rappeler l’autorité des marchés financiers québécoise, pour insister sur le risque de volatilité des crypto.

Pourtant, la réalité décrite par l’analyse du Pr Bonaparte s’avère contre-intuitive. «Malgré leur environnement transactionnel centré sur les particuliers, les mouvements de prix des cryptos semblent résonner plus profondément aux fondamentaux que ceux, en comparaison, de l’indice composite S&P 500, transigé par un mix d’investisseurs “retail” et institutionnels», explique-t-il.

Par fondamentaux du bitcoin, l’auteur entend la moyenne des transactions par bloc de données traitées, le total des transactions, la taille de la chaîne de blocs, le nombre de transactions confirmées ou encore la difficulté du réseau (la puissance de calcul nécessaire pour le bon fonctionnement du réseau).

«L’offre limitée, la nature décentralisée et la transparence de la chaîne de blocs contribuent à la valeur intrinsèque du bitcoin. L’évolution des données de la chaîne de blocs, qui reflète une adoption accrue, des avancées technologiques ou des changements réglementaires, influe directement sur le prix du bitcoin. Les investisseurs sur le marché des cryptomonnaies suivent de près ces fondamentaux pour prendre des décisions éclairées», note Yosef Bonaparte.

À la (re)découverte d’une valeur intrinsèque

Il est surprenant de voir que les éléments technologiques des cryptos ont un impact plus déterminant sur leur marché que les traditionnels fondamentaux d’entreprise sur les places réunissant les actions des sociétés cotées. Bitcoin exhibe une divergence remarquable, ses fondamentaux influençant nettement plus (>60%) que ceux de l’indice S&P.

L’asymétrie observée de l’impact du sentiment sur les deux types de marchés peut apparaître comme une anomalie qu’il serait judicieux d’explorer et investiguer davantage par les chercheurs. Il persiste en effet un fossé de connaissances, notamment dans la littérature scientifique, sur le rôle des variables fondamentales dans la formation ou la découverte sur les marchés financiers à la fois classiques et crypto.

Depuis sa création, le réseau Bitcoin n’a pourtant pas véritablement changé ses fondamentaux, profondément ancrés dans son logiciel informatico-financier. La chaîne de blocs originelle offre un niveau de prévisibilité et une monnaie numérique décentralisée qu’il a toujours été possible de valoriser. «La transparence, l’immuabilité et la sécurité offertes par la technologie contribuent à la résilience du bitcoin et à son attrait en tant que réserve de valeur», rappelle, s’il le fallait, l’étude de l’Université du Colorado.