En contexte de négociations, les acquéreurs souhaitent actuellement mitiger leurs risques et les vérifications diligentes s’allongent. (Photo: 123RF)
F&A. La remontée des taux d’intérêt et les nombreuses incertitudes du contexte économique actuel modifient la dynamique des négociations entre les acheteurs et les vendeurs. Ces derniers doivent soigner leur offre pour rester attrayants.
L’associé de la Division des services-conseils transactionnels de KPMG, Ralph Masella, est catégorique : «Le marché des fusions et acquisitions (F&A) est désormais favorable aux acheteurs, après avoir mieux servi les vendeurs pendant quelques années.»
Les taux d’intérêt extrêmement bas et les montagnes d’argent disponible dans les bilans des entreprises ou encore du côté des banques ou des fonds d’investissement créaient jusqu’à tout récemment des surenchères qui dopaient les prix d’acquisition.
«Cette course à la transaction est terminée, souligne Ralph Masella. Les acheteurs se montrent plus prudents. Ils effectuent davantage de vérification diligente, proposent des prix plus raisonnables et recherchent des cibles de grande qualité.»
Les acheteurs regardent attentivement certains éléments, comme le fonds de roulement, les parts de marché détenues par l’entreprise, sa résistance à l’inflation ou à un éventuel ralentissement économique ou encore la qualité de ses gestionnaires et de ses employés clés.
Dans un contexte plus incertain, les acquéreurs souhaitent mitiger leurs risques et les vérifications diligentes s’allongent. Mark Rossi, associé et directeur de l’équipe de vente, d’acquisition et de financement d’entreprises chez Raymond Chabot Grant Thornton, conseille aux vendeurs d’effectuer la vérification diligente de leur propre entreprise avant même de solliciter des offres pour une éventuelle acquisition.
«Cela permet au vendeur d’avoir une vision plus complète de son entreprise et de sa valeur, affirme-t-il. Dans certains cas, l’exercice révèle des problèmes qui lui avaient échappé ou des aspects qu’il pourra optimiser pour faire augmenter sa valorisation.» Les dirigeants sont alors beaucoup plus prêts lorsque l’acquéreur potentiel commence sa propre vérification.
Soigner son profil
Le dossier de commercialisation devient un outil encore plus essentiel pour convaincre l’acheteur de la qualité d’une entreprise. Ce document peut varier de manière très importante selon le type d’entreprise, le secteur d’activité, le marché, etc. Certains éléments se retrouvent toutefois toujours dans ces dossiers, tels le risque et la croissance.
«Le vendeur doit démontrer que son entreprise ne constitue pas un risque et il doit également présenter des projections solides pour illustrer sa croissance passée et surtout sa croissance potentielle», explique Bernard Cormier, directeur général des services en F&A et des marchés financiers de BDO Canada.
Les dirigeants doivent donc savoir faire passer les messages clés quant à leur positionnement actuel et futur dans le marché. Quant aux considérations de risque, elles passent souvent par une démonstration de certains éléments stratégiques, comme la diversité des clients et des fournisseurs, une chaîne de valeur résiliente, etc.
Les acheteurs s’intéressent également à certains aspects réglementaires. Les coûts financiers et réputationnels liés aux pertes de données sont importants, et les réglementations au Québec et dans d’autres marchés, notamment en Europe, deviennent de plus en plus sévères. Ainsi, les acheteurs recherchent une saine gestion des données et de bonnes pratiques en cybersécurité et en protection des renseignements personnels.
Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) devraient aussi entrer dans cette catégorie de mitigation des risques. «Lorsque des fonds d’investissement ou des entreprises cotées en Bourse font partie d’une transaction, les considérations ESG sont plus souvent prises en compte, explique Mark Rossi. Ce n’est pas vraiment un facteur qui joue sur le prix proposé, c’est surtout un souci de gestion de risque.»
De son côté, Ralph Masella constate que ces éléments restent moins présents dans les plus petites entreprises. «Ce n’est pas souvent un enjeu lorsque deux PME effectuent une transaction, soutient-il. Plus nous verrons apparaître des normes standardisées de divulgation et des réglementations, plus ces enjeux arriveront sur le radar de ces entreprises.»
Une réglementation plus lourde
D’autres aspects réglementaires peuvent également s’immiscer dans les transactions et les compliquer un peu, notamment lorsqu’elles sont transfrontalières. Me Étienne Brassard, avocat spécialisé en droit des affaires au cabinet Lavery, cite le projet de loi 78, qui exige de révéler les «bénéficiaires ultimes » d’une entreprise. On entend par là les personnes qui disposent d’un droit qui leur permet de diriger ou d’influencer les activités de l’entreprise ou de profiter d’une partie de ses revenus ou de ses actifs.
«Cette loi est la plus exigeante en Amérique du Nord, donc cela ajoute de la complexité dans des transactions avec des joueurs américains», explique Me Brassard. S’ajoute à cela le projet de loi 96, qui oblige à traiter certains actes juridiques en français seulement, ce qui force les cabinets d’avocats à traduire plus de documents.
«Au moment où le marché devient plus incertain, de nouveaux règlements viennent alourdir les processus transactionnels, déplore l’avocat. Ça ne cause pas l’échec des transactions, mais ça peut les complexifier.»