« Oui, les prix ont monté, mais ils pourraient redescendre en 2019. » – Josée Méthot, PDG de l’Association minière du Québec [Photo : Francis Fontaine]
INDUSTRIE MINIÈRE. Depuis le creux de la fin novembre, la tonne de fer a bondi de 40% pour atteindre 85,80$ US à la fin mars, dépassant même brièvement un sommet de trois ans. Malgré tout, les producteurs de fer du Québec demeurent prudents, car les cours sont toujours très volatils.
«Oui, les prix ont monté, mais ils pourraient redescendre en 2019», fait remarquer la PDG de l’Association minière du Québec (AMQ), Josée Méthot, en soulignant que les conditions de l’industrie ont continué de s’améliorer dans la province ces dernières années.
Plusieurs facteurs affectent actuellement les cours du fer. Toutefois, la catastrophe impliquant le producteur de fer Vale, au Brésil (un barrage minier a cédé, tuant des dizaines de personnes), est le principal facteur expliquant l’explosion des prix, affirment les analystes, dont ceux de Morgan Stanley. À la suite de l’accident, la minière brésilienne a réduit sa production, réduisant du coup l’offre de fer sur le marché mondial. En revanche, le marché devrait éventuellement revenir à l’équilibre en 2019, soulignent les analystes de BMO Marchés des capitaux.
C’est d’ailleurs la lecture qu’en font sur le terrain, au Québec, les producteurs de fer que nous avons contactés. «Nous avons bon espoir que les prix se stabiliseront aux alentours de 70 $ à 75 $», affirme David Cataford, directeur des opérations de Champion Iron, qui exploite une mine de fer au lac Bloom, près de Fermont. La minière n’établit donc pas sa stratégie à partir des prix actuels.
Un seuil de rentabilité très confortable
L’historique de la valeur marchande semble donner raison à la minière, car le prix moyen du fer s’est maintenu à un peu plus de 70 $ US la tonne au cours des cinq dernières années, selon le site Trading Economics.
Ce prix procure encore une bonne marge de manoeuvre à Champion. La mine du lac Bloom est rentable, le prix de la tonne de fer oscillant entre 50 $ US et 55 $ US, explique M. Cataford.
Ce montant comprend tous les coûts de production et de transport, et ce, de l’extraction du minerai de fer à son transport sur les marchés asiatiques tels que la Chine et le Japon.
Les conditions du marché lui sont à ce point favorables que la minière a lancé, en novembre, une étude de faisabilité pour doubler la production au lac Bloom de 7,5 à 15 millions de tonnes.
Si l’étude est concluante, l’entreprise devra investir environ 400 millions de dollars dans ce projet, ce qui ne tient pas compte du rachat d’équipements. «Nous aurons plus de précisions sur les coûts réels quand l’étude sera terminée», souligne M. Cataford. L’entreprise devrait terminer l’étude cette année. Advenant des conclusions favorables, la nouvelle capacité de production sera disponible à compter du deuxième trimestre de 2021.
Le producteur de fer Tata Steel, qui a un projet de mine de fer près de Schefferville, fait aussi preuve de prudence à l’égard de la hausse récente du prix du fer. «Nous demeurons conservateurs dans nos prévisions», souligne Armand Mackenzie, vice-président des affaires gouvernementales et des relations publiques chez Tata Steel Minerals Canada.
La multinationale est en train de développer un projet de fer à enfournement direct (DSO) au Québec et en partie à Terre-Neuve-et-Labrador.
Ce projet comprend l’extraction, le concassage, le lavage, le criblage et le séchage du minerai à l’usine de Schefferville. La minière transporterait le produit fini par chemin de fer à Sept-Îles, pour l’exporter ensuite par bateau aux usines sidérurgiques de Tata Steel en Europe. Comme Tata Steel n’est pas inscrite en Bourse, elle ne divulgue pas son seuil de rentabilité.
Cela dit, même si les cours du fer devaient diminuer dans les prochains mois, le principal défi de l’entreprise ne réside pas dans le prix, mais plutôt dans l’accessibilité au quai multiusager de Sept-Îles, qu’utilise déjà Champion. «Il y a un goulot d’étranglement», déplore M. Mackenzie.
Or, cette situation augmente les coûts de chargement et de téléchargement au port de Sept-Îles, ce qui affecte de facto le seuil de rentabilité du projet DSO, alors que Tata Steel se dit prête à commencer à exporter son produit fini en Europe à compter de cet automne.
L’enjeu est complexe et nécessitera sans doute l’intervention des gouvernements. Car pour défaire ce goulot d’étranglement, Tata Steel affirme qu’il faut interconnecter les deux cours d’entreposage à Sept-Îles (lac Bloom et Wabush). Champion s’y oppose, parce qu’elle ne veut pas que son minerai de qualité soit «contaminé» par le minerai d’autres minières.
Arcelor Mittal est l’autre gros joueur dans le secteur du fer au Québec, qui exploite le complexe minier de Mont-Wright et la mine de Fire Lake, dans la région de Fermont. La minière n’a toutefois pas répondu à nos demandes d’entretien pour faire le point sur ses projets.
Le minerai de fer est un secteur stratégique au Québec, car il constitue le septième poste d’exportation, juste devant le bois d’oeuvre.
En 2018, les expéditions de minerai de fer et de concentrés à l’étranger ont totalisé 2,2 milliard de dollars canadiens, soit le niveau le plus élevé depuis le record de 1,9 G $ enregistré en 2014, selon l’Institut de la statistique du Québec. Les marchés d’exportation du fer du Québec ont aussi changé au fil des ans. De 2014 à 2018, les expéditions québécoises de fer en Chine ont chuté de 16 % à 639 M $, tandis que celles à destination de l’Union européenne ont augmenté de près de 50 % à 1,2 G $ durant la même période.